Révolution russe
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La Révolution russe est l’ensemble des événements de
1917 ayant conduit en février au renversement spontané du
régime tsariste de
Russie, puis en octobre à l’installation préparée d’un régime «
léniniste ». Largement induite par la
Grande Guerre[1], la Révolution russe est un événement fondateur et décisif du « court XXe siècle
[2] » ouvert par l’éclatement du conflit européen en
1914 et clos en
1991 par la disparition de l’
URSS. Objet de sympathies et d’immenses espoirs pour les uns (la « grande lueur à l’Est » selon
Jules Romains, le « charme universel d’Octobre » décrit par
François Furet), objet de sévères critiques, voire de peurs et de haine viscérale pour les autres
[3], elle reste un des faits les plus étudiés et les plus passionnément discutés de l’
histoire contemporaine.
Son déroulement et ses conséquences posent toujours de nombreuses questions. Les
historiens sont encore partagés quant à savoir si la «
révolution de Février » impliquait nécessairement la «
révolution d'Octobre ». La nature d’Octobre (
révolution,
coup d'État ou combinaison des deux ?), les raisons des violences de la
guerre civile de 1918-1921, celles de la genèse de la
dictature soviétique sont également très discutées. Le débat très ancien sur l’évolution conduisant au
stalinisme des
années 1930 n’a jamais été non plus définitivement tranché : filiation logique, ou bien déviation (voire trahison), par rapport aux idéaux et aux pratiques des
bolcheviks de la Révolution
[4] ?
Le soviet de Petrograd en 1917.
Sommaire [
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1 La Russie avant la Révolution2 Révolution de février 19173 La dualité des pouvoirs3.1 « Le pays le plus libre du monde »3.2 Gouvernement provisoire et soviets4 Des crises à répétition4.1 Les journées d’avril4.2 Les journées de juillet4.3 La montée de la réaction4.4 Le soulèvement de Kornilov4.5 L’ébullition populaire, l’explosion paysanne et la montée des bolcheviks5 Révolution d'octobre 19175.1 L’insurrection5.2 Le nouveau gouvernement5.3 La nature d’Octobre : révolution, coup d’État, coup d’État et révolution ?6 Les débuts du régime bolchevique6.1 La situation économique au lendemain de la révolution d’Octobre6.2 Bolcheviks et paysannerie : du malentendu au conflit6.3 Les premiers combats de la guerre civile (automne 1917)6.4 Le problème de la coalition6.5 Les premiers jours d’un nouvel État6.6 La paix de Brest-Litovsk6.7 La création de la Tchéka6.8 La dissolution de la Constituante6.9 La mise au pas des concurrents révolutionnaires6.10 La montée généralisée des périls7 De la guerre civile à la NEP (1918-1921)7.1 Armée rouge contre armées blanches7.2 Campagnes contre villes : les « armées vertes »7.3 Minorités nationales contre Russes7.4 Interventions étrangères et guerre russo-polonaise7.5 Terreur blanche contre terreur rouge7.6 Violences d'en-bas et violences d'en-haut7.7 Victoire et crise du « communisme de guerre »7.8 La révolte de Kronstadt et l'instauration de la NEP (mars 1921)8 Conséquences8.1 Conséquences culturelles8.1.1 Libération des mœurs et émancipation de la femme8.1.2 La lutte contre l'analphabétisme et l'accès des couches populaires à la culture8.1.3 La révolution et l'Art8.2 Conséquences économiques et sociales8.3 Conséquences politiques et diplomatiques8.4 Perceptions et réceptions à l'étranger8.5 Postérité et fin8.6 Interprétations9 Notes et références10 Annexe10.1 Articles connexes10.1.1 Les différents partis10.2 Bibliographie11 Liens externesLa Russie avant la Révolution[
modifier]
Articles détaillés :
Empire russe,
Révolution russe de 1905 et
Fin du régime tsariste en Russie.
L'empereur
Nicolas II et sa famille.
Avant
1917, l'
Empire russe était un régime
tsariste,
autocratique et répressif.
L'abolition du
servage par l'empereur
Alexandre II en
1861 fait apparaître les premières fissures du vieux régime féodal. Une fois affranchis, les serfs sont poussés vers les villes, où ils constituent la main-d’œuvre de la révolution industrielle.
Au début du XXe siècle, la
Russie connaît un essor
industriel spectaculaire, entraînant un essor urbain et une grande effervescence culturelle : le vieil ordre social est ébranlé, aggravant les difficultés des plus pauvres. Les industries fleurissaient, la
classe ouvrière était concentrée principalement dans les grandes villes. Cependant, la nouvelle prospérité du pays ne profite pas à la population.
L’économie dans son ensemble reste archaïque
[5]. La valeur de la production industrielle est en 1913 deux fois et demi inférieure à celle de la France, six fois moins que celle de l’Allemagne, ou quatorze fois moins que celle des États-Unis
[6]. Le rendement agricole reste médiocre, la pénurie de transport paralyse toute tentative de modernisation économique
[7]. Le
PIB par habitant est alors inférieur à celui de la Hongrie ou de l’Espagne de l’époque, et environ un quart de celui des États-Unis
[8]. Surtout, le pays est dominé par les capitaux étrangers, qui possèdent près de la moitié des actions en Russie
[9]. L’industrialisation du pays a été violente et mal acceptée par les couches de la paysannerie brusquement prolétarisées. La classe ouvrière naissante, bien que faible numériquement, est concentrée dans de grands sites industriels qui facilitent l’émulation
révolutionnaire[10].
La Russie reste un pays essentiellement rural (85 % de la population). Si une partie des paysans, les
koulaks, s’est enrichie et constitue une sorte de bourgeoisie rurale soutenant le régime, le nombre de paysans sans terres a augmenté, créant un véritable
prolétariat rural, réceptif aux idées révolutionnaires. Même après 1905, un député à la
Douma signale que dans bien des villages, la présence de blattes et de punaises dans les maisons était considérée comme un signe de richesse
[11].
La capitale
Saint-Pétersbourg, foyer des révolutions de 1905 et 1917.
Après la scolarisation menée quelques années auparavant, une partie des ouvriers a été conquise par les idées
marxistes et autres idéologies révolutionnaires. Toutefois, le pouvoir tsariste fit preuve d’immobilisme. Aux
XIXe et
XXe siècles, des mouvements organisés par des membres de toutes les classes de la population (étudiants ou ouvriers, paysans ou nobles) tentèrent de renverser le gouvernement – sans succès, certains se tournant vers le
terrorisme et les attentats politiques. Les mouvements révolutionnaires étaient soumis à une dure répression, menée par la puissante
Okhrana, la police politique tsariste. De nombreux révolutionnaires étaient emprisonnés ou déportés, d’autres réussissaient à fuir et à rejoindre les rangs des exilés. De ce point de vue, la révolution de 1917 n’est que l’aboutissement d’une longue succession de petites
révoltes. Les réformes nécessaires, que ni les révoltes paysannes, ni les attentats politiques, ni l’activité parlementaire de la
Douma, n’avaient réussi à imposer viendront finalement d’une
révolution impulsée par le
prolétariat.
Dès
1905, une première révolution éclate après la défaite de la Russie lors de la
guerre russo-japonaise. La répression sanglante d’une manifestation le 22 janvier 1905, lorsque qu'une partie de la population vint porter une supplique à
Nicolas II à
Saint-Pétersbourg marque le «
Dimanche rouge ». Elle constitua une tentative du peuple russe de se libérer de son tsar, et fut marquée par des soulèvements et des
grèves de la part des ouvriers et des paysans qui formèrent à cette occasion leurs premiers organes de pouvoirs indépendants de la tutelle de l’État, les
Soviets.
Révolution de février 1917[
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Article détaillé :
Révolution de Février.
Les défaites successives de la
Russie lors de la
Première Guerre mondiale sont l’une des causes de la
révolution de Février. À l’entrée en guerre, tous les partis sont pour cette participation, à l’exception du parti social-démocrate (
POSDR), le seul en Europe avec le parti socialiste serbe à refuser le vote des crédits de guerre, mais qui prévient toutefois qu’il ne cherchera pas à saboter l’effort de guerre. Dès le début du conflit sur le
Front de l'Est, après quelques succès initiaux, l’armée connaît de lourdes défaites (en
Prusse-Orientale notamment) ; les usines s’avèrent insuffisamment productives, le réseau ferroviaire imparfait, le ravitaillement en armes et denrées de l’armée boiteux. Au sein de la troupe, les pertes battent tous les records (1 700 000 morts et 5 950 000 blessés) et des
mutineries éclatent, le moral des soldats se trouvant au plus bas. Ceux-ci supportent de moins en moins l’incapacité de leurs officiers (on a ainsi vu des unités monter au combat avec des balles ne correspondant pas au calibre de leur fusil), les brimades et les punitions corporelles en usage dans l’armée.
Soldats russes blessés au cours de la
Première Guerre mondialeLa
famine gronde et les marchandises se font rares. L’économie russe, qui connaissait avant la guerre le taux de croissance le plus élevé d’Europe
[12], est coupée du marché européen. La chambre basse du Parlement russe (la
Douma), constituée de partis
libéraux et
progressistes, met en garde le
tsar Nicolas II contre ces menaces pour la stabilité, tant de la Russie que du régime, et lui conseille de former un nouveau gouvernement constitutionnel. Mais le tsar ignore l’avis de la Douma. Isolé dans un train spécial au front, il a perdu de fait tout contact avec la réalité du pays et avec sa direction. L’impopularité de son épouse, d’origine allemande, aggrave le discrédit du régime, ce que confirme en décembre 1916 l’assassinat par un jeune noble du conseiller occulte de l’impératrice,
Raspoutine.
Dès
1915-
1916, une prolifération de comités divers prennent en main tout ce qu’un
État déficient n’assume plus (ravitaillement, soins, échanges). Avec les
coopératives ou les
syndicats, ces comités deviennent des pouvoirs parallèles. Le régime ne contrôle déjà plus le « pays réel »
[13].
Le mois de
février 1917 rassemble toutes les caractéristiques pour une
révolte populaire : hiver rude, pénurie alimentaire, lassitude face à la guerre… Tout commence lors de
grèves spontanées, début février, des ouvriers des usines de la capitale Petrograd (nouveau nom que
Saint-Pétersbourg a pris au début du conflit). Le 23 février (8 mars du
calendrier moderne[14]), pour la
journée internationale des femmes, des femmes de Petrograd manifestent pour réclamer du pain. Leur action est soutenue par la main-d’œuvre industrielle, qui trouve là une raison de prolonger la grève. Ce premier jour, malgré quelques confrontations avec les forces de l’ordre, ne fait aucune victime.
Les jours suivants, les grèves se généralisent dans tout
Petrograd et la tension monte. Les slogans, jusque-là plutôt discrets, se politisent : « À bas la guerre ! », « À bas l’autocratie ! »
[15]. Cette fois, les affrontements avec la police font des victimes des deux côtés
[16]. Les manifestants s’arment en pillant les postes de police. Après trois jours de manifestations, le
Tsar mobilise les troupes de la garnison de la ville pour mater la rébellion. Les soldats résistent aux premières tentatives de fraternisation et tuent de nombreux manifestants. Toutefois, la nuit, une partie de la troupe rejoint progressivement le camp des insurgés, qui peuvent ainsi s’armer plus convenablement. Entre-temps, le tsar, désemparé, n’ayant plus les moyens de gouverner, dissout la
Douma et nomme un comité provisoire.
Tous les régiments de la garnison de Petrograd se joignent aux révoltés. C’est le triomphe de la révolution. Sous la pression de l’état-major, le
tsar Nicolas II abdique le
2 mars. « Il se démit de l’empire comme un commandant d’un escadron de cavalerie
[17] ». Son frère, le grand-duc
Mikhaïl Alexandrovich Romanov, refuse presque aussitôt la couronne. C’est de fait la fin du
tsarisme, et les premières élections au
soviet des ouvriers de Petrograd. Le premier épisode de la révolution a fait tout de même plus d’une centaine de victimes, en majorité parmi les manifestants
[18]. Mais la chute rapide et inattendue du régime, à un coût plutôt limité, suscite dans le pays une vague d’enthousiasme et de libéralisation.
La dualité des pouvoirs[
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La période suivant l’abdication du tsar est à la fois confuse et enthousiaste. Les
gouvernements provisoires se succèdent rapidement au fur et à mesure que la révolution gagne en profondeur et que la masse des ouvriers et paysans se politise.
Les
soviets, émanations des volontés populaires, n’osent pas dans un premier temps contredire le gouvernement provisoire malgré son immobilisme et sa poursuite de la guerre
[19]. Mais le petit
parti bolchevique, auquel
Lénine impose une radicalisation stratégique, récupère ainsi le mécontentement général croissant et devient dépositaire des aspirations populaires, tandis que les partis révolutionnaires rivaux se discréditent les uns après les autres, et que le péril contre-révolutionnaire se dessine.
« Le pays le plus libre du monde »[
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La chute de la
monarchie est ressentie comme une libération sans précédent. Elle ouvre en Russie une période d’allégresse populaire et de fermentation révolutionnaire. Une frénésie de prises de parole gagne toutes les couches de la société. Les meetings sont quotidiens et les orateurs se succèdent sans fin. Défilés et manifestations se multiplient. Des dizaines de milliers de lettres, d’adresses, de
pétitions sont envoyées chaque semaine de tous les points du territoire pour faire connaître les soutiens, les doléances ou les revendications du peuple. Elles sont en particulier adressées au nouveau
gouvernement provisoire et au soviet de Petrograd.
Au-delà des attentes immédiates, ce qui domine est le rejet de toutes les formes d’autorité ; ce qui a permis à
Lénine de parler de la Russie de ces premiers mois comme du « pays le plus libre du monde ».
Selon
Marc Ferro,
« À
Moscou, des travailleurs obligeaient leur patron à apprendre les fondements du futur droit ouvrier ; à
Odessa, les étudiants dictaient à leur professeur le nouveau programme d’histoire des civilisations ; à
Petrograd les acteurs se substituaient au directeur du théâtre et choisissaient le prochain spectacle ; aux armées, des soldats invitaient l’aumônier à assister à leurs réunions pour qu’il donne un sens à sa vie. Il n’est jusqu’aux enfants qui n’aient revendiqué pour les moins de 14 ans le droit d’apprendre la boxe pour pouvoir se faire entendre des grands. C’était le monde à l’envers
[20] »
Un meeting de soldats en Finlande, mars 1917.
Ces premières semaines emplies d’espérance et de générosité sont très peu violentes, dans les villes comme dans les campagnes. Aucunes représailles officielles ou spontanées ne sont par exemple exercées contre les anciens serviteurs du tsar, ce dernier étant simplement assigné à résidence ; beaucoup peuvent librement se retirer ou partir à l’étranger. Le gouvernement provisoire abolit la
peine de mort, ouvre largement les prisons, permet le retour des exilés de toutes opinions (dont
Lénine), et proclame les libertés fondamentales de
presse, de réunion, de
conscience - déjà acquises dans les faits depuis février. L’
antisémitisme d’État disparaît. L’
Église orthodoxe, sous tutelle depuis
Pierre le Grand, peut réunir librement un concile qui, à l’été 1917, restaure le
patriarcat. Dans l’armée, le prikaze n° 1 (ordre du jour) émis par le soviet de Petrograd interdit les brimades humiliantes des officiers et instaure pour les soldats les droits de réunion, de pétition et de presse
[21].
Enfin, la manifestation la plus franche de l’émancipation de la
société civile est la création spontanée de
soviets (conseils) d’ouvriers, de paysans, de soldats ou de marins, qui couvrent en quelques semaines la quasi-totalité du pays. Ces assemblées élues, déjà expérimentés en
1905, pallient la faiblesse des organisations habituelles en Occident (partis, syndicats), due à la longue répression tsariste. Ce sont des organes de
démocratie directe, qui entendent exercer un pouvoir autonome et, face au gouvernement provisoire comme à la possibilité d’une
contre-révolution, veiller à la préservation et à l’extension des conquêtes de la
révolution de Février.
Gouvernement provisoire et soviets[
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Les membres du
gouvernement provisoire.
Un
gouvernement provisoire élu par la
Douma, dirigé par
Michel Rodzianko, ancien officier du Tsar,
monarchiste et riche propriétaire terrien, s’installe. Dès le 15 mars, sa direction est reprise pour plusieurs mois par le prince
Lvov, un
libéral progressiste.
Ainsi, même s’il est issu d’une révolution des ouvriers et soldats, le pouvoir est aux mains d’un gouvernement provisoire, dirigé par des hommes politiques libéraux, principalement le
parti KD (Parti constitutionnel démocratique, faussement appelé « Cadet »), qui était celui de la
bourgeoisie libérale. Mais en réalité, ce gouvernement doit composer avec les
soviets, qui dès le début mars, se forment dans les principales villes du pays, à l’annonce de la révolution dans la capitale, puis surgiront dans les campagnes en avril et mai. C'est alors que les notables qui dirigeaient au nom du tsar sont destitués. Le soviet est donc à la fois un club dans lequel les ouvriers se rendent pour discuter de la situation, et un organe de gouvernement.
Le programme du soviet de
Petrograd est la paix immédiate, la terre aux paysans, la journée de 8 heures et une république démocratique. Ce programme est inapplicable par la bourgeoisie libérale qui a pris le pouvoir à la suite de la révolution, et qui ne veut ni rompre avec ses alliés, ni toucher à la propriété des terres de la
noblesse féodale, ni accorder la journée de 8 heures.
De surcroît, le gouvernement estime (comme une partie des dirigeants de soviets et de partis révolutionnaires) que seule la future
Constituante élue au
suffrage universel aura le droit de décider du destin des terres et du régime social. Mais l’absence de millions d’électeurs mobilisés au front retarde sans fin la convocation de ces élections (d’autant plus que le gouvernement continue la guerre). L’accomplissement des réformes attendues est donc sans cesse reporté sine die, au point que le gouvernement, par exemple, s’abstient même de proclamer officiellement la
République avant septembre. Il prend donc d’emblée le risque de décevoir dangereusement la population. Il ne peut de surcroît gouverner sans l’appui incertain des soviets, qui ont le soutien et la confiance de la grande masse des travailleurs
[22].
Les soviets sont alors dominés par des partis
socialistes,
mencheviks et
socialistes-révolutionnaires (SR). Les
bolcheviks, malgré leur nom, sont minoritaires. Dans l’immédiat, ces soviets, dont celui de Petrograd, affichent une ligne modérée de soutien au gouvernement provisoire, et ne mettent pas en avant les revendications les plus radicales - ce qui oblige à nuancer la notion habituelle de « dualité des pouvoirs ». La jonction entre le gouvernement et le soviet de Petrograd est assumée par son vice-président, le
SR républicain
Alexandre Kerensky, qui est par ailleurs ministre de la Justice puis de la Guerre.
Presque tous les révolutionnaires, surtout ceux formés à l’école du
marxisme, estiment en effet que la révolution
prolétarienne est prématurée dans un pays aussi rural et économiquement arriéré
[23]. À leurs yeux, la Russie n’est mûre que pour une révolution bourgeoise, le prolétariat étant inexpérimenté et trop faible numériquement. La révolution doit dans un premier temps se cantonner aux tâches que l’analyse marxiste assignait à la révolution bourgeoise, celles accomplies par la
Révolution française de
1789 : la fin du
féodalisme et la
réforme agraire. Dans cette optique, les soviets sont conçus comme des « forteresses prolétariennes » implantées au cœur de la « révolution bourgeoise »
[24] pour veiller à la réalisation des revendications populaires, préparer ultérieurement le passage au
socialisme, et prévenir en attendant aussi bien une contre-révolution monarchiste qu’une rupture avec la bourgeoisie.
Or, ceci ne répond pas à l’urgence que les masses éprouvent à voir réaliser leurs aspirations. Les partis révolutionnaires risquent donc d’encourir à terme le même discrédit populaire que le gouvernement provisoire.
Des crises à répétition[
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Les journées d’avril[
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Malgré la volonté populaire d’en finir avec la guerre, l’implication dans la
Première Guerre mondiale n’est pas remise en cause. En avril, la publication d’une note secrète du gouvernement à ses alliés, indiquant qu’il ne remettra pas en cause les traités tsaristes et continuera la guerre, provoque la colère des soldats et ouvriers
[25]. Des manifestations pour et contre le gouvernement causent les premiers véritables affrontements armés de la révolution, et contraignent à la démission le ministre des Affaires étrangères, l’historien
KD Pavel Milioukov. Les socialistes modérés entrent alors au gouvernement, soutenus par la majorité des ouvriers qui pensent qu’ils pourront faire pression pour arrêter la guerre.
Au même moment, peu après son retour en
Russie,
Lénine fait paraître ses
Thèses d'avril. Dans la continuité des thèses exposées dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, il considère que le
capitalisme est entré dans une « phase de putréfaction » et que les bourgeoisies nationales ne sont plus capables, dans les nouveaux pays industrialisés, d’assumer le rôle révolutionnaire qu’elles ont joué dans le passé. Pour lui, seul le don de « tout le pouvoir aux soviets » et la poursuite de la révolution peuvent arrêter la guerre et assurer les conquêtes de la
révolution de Février. Il refuse tout soutien au
gouvernement provisoire et prône la confiscation et le partage des terres par les paysans, le contrôle ouvrier sur les usines, le passage immédiat à une république des
soviets.
Ces idées étaient jusqu’alors très minoritaires au sein des
bolcheviks eux-mêmes, qui s’en étaient tenus à une ligne commune de soutien au gouvernement, la
Pravda dirigée par
Staline et
Molotov s’étant même prononcée publiquement pour la reprise du travail et un retour à la normale. Mais avec l’effondrement économique et la poursuite de la guerre, les idées du parti bolchevique, dirigé par Lénine et que rallie
Trotsky à l’été, gagnent de l’influence. Début juin, les bolcheviks sont majoritaires dans le soviet ouvrier de
Petrograd.
Les journées de juillet[
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Marins révolutionnaires russes de la flotte impériale durant l’été 1917.
Article détaillé :
Journées de juillet 1917.
Dans les premiers mois de 1917, la guerre a moins été rejetée en elle-même que l’incapacité du
tsar à la mener efficacement, ainsi que l’inhumanité ou l’incurie des officiers. Le «
défaitisme révolutionnaire » prôné par
Lénine est très impopulaire jusqu’au sein du parti bolchevique. Beaucoup, et pas seulement dans les élites bourgeoises, escomptent en Russie un sursaut
patriotique et
jacobin face à l’Allemagne du
Kaiser, de même que la chute de la monarchie française en
1792 avait permis la victoire de
Valmy et le rejet de l’envahisseur.
Alexandre Kerensky, devenu ministre de la Guerre, bon orateur et très populaire, entend incarner ce sursaut à la fois national et révolutionnaire.
De surcroît, les slogans de paix immédiate sont au départ plus fréquents à l’arrière qu’au front, où les soldats considèrent souvent les ouvriers comme des « planqués », et apprécient peu qu’on mette en doute l’utilité des sacrifices qu’ils ont enduré depuis trois ans. De fait, une large majorité des Russes sont favorables à une «
paix blanche » sans annexion ni contributions, mais beaucoup sont prêts à laisser sa chance à une ultime offensive militaire
[26].
Or, entre février et juillet, l’impopularité de la guerre et la lassitude ont gagné du terrain, tout comme la propagande
pacifiste. La poursuite de la guerre justifie aussi un immobilisme très critiqué, puisqu’il est impossible d’accorder la journée de 8 heures sans affaiblir la production de guerre, ou de convoquer la Constituante tant que des millions de soldats seront au front.
Dispersion de la foule sur la
perspective Nevski, pendant les
journées de juillet.
L’échec militaire de l’«
offensive Kerensky » déclenchée début juillet entraîne une déception générale. Après quelques succès initiaux dus au général
Broussilov, le meilleur commandant en chef russe de la
Grande Guerre, l’échec est patent et les soldats refusent de monter en première ligne. L’armée entre en décomposition, les
désertions se multiplient, les protestations de l’arrière enflent, la popularité de Kerensky se dégrade
[27].
Les 3 et 4 juillet, l’échec de l’offensive connu, les soldats stationnés dans la capitale
Petrograd refusent de repartir au front. Rejoints par les ouvriers, ils manifestent pour exiger des dirigeants du soviet de la ville qu’il prenne le pouvoir. Débordés par la base, les
bolcheviks s’opposent à une insurrection prématurée, estimant qu’il est encore trop tôt pour renverser le
gouvernement provisoire : les bolcheviks ne sont majoritaires qu’à Petrograd et
Moscou, tandis que les partis socialistes modérés conservent une influence importante dans le reste du pays. Ils préfèrent laisser le gouvernement aller au bout de ses possibilités et montrer son incapacité à gérer les problèmes de la révolution : la paix, la journée de 8 heures, la réforme agraire.
La montée de la réaction[
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La répression s’abat néanmoins sur les
bolcheviks.
Trotsky est emprisonné,
Lénine est obligé de fuir et se réfugie en Finlande, le journal bolchevique, Rabotchi I Soldat (« Ouvrier et Soldat ») est interdit. Les régiments de mitrailleurs qui ont soutenu la révolution sont dissous, envoyés au front par petits détachements, les ouvriers sont désarmés. 90 000 hommes doivent quitter Petrograd, les « agitateurs » sont emprisonnés. La
peine de mort abolie en février est rétablie. Au front, la reprise en main est brutale après la liberté laissée par le prikaze no 1 en février. Ainsi le 8 juillet, le général
Kornilov, qui commande le front sud-ouest, donne l’ordre d’ouvrir le feu à la mitrailleuse et l’artillerie sur les soldats qui reculeraient. Du 18 juin au 6 juillet, l’offensive sur ce front fait 58 000 morts, sans succès.
Parallèlement la
réaction se manifeste, et le tsarisme relève la tête ; des
pogroms se produisent en province. Après les
journées de juillet,
Kerensky a succédé au prince
Georgy Lvov, monarchiste modéré, mais il perd de plus en plus la considération des masses populaires, et paraît incapable de contenir la montée de la réaction.
Le soulèvement de Kornilov[
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Article détaillé :
Affaire Kornilov.
Le général
Kornilov est nommé nouveau commandant en chef par
Kerensky. Alors que l’armée se disloque, il incarne un retour à la discipline de fer antérieure : il a déjà donné l’ordre en avril de fusiller les
déserteurs et d’exposer les cadavres avec des écriteaux sur les routes, et menacé de peines sévères les paysans qui s’en prendraient aux domaines seigneuriaux. Ce général, réputé
monarchiste, est en réalité un
républicain indifférent au rétablissement du tsar, et un homme issu du peuple (fils de cosaque et non d’aristocrate), ce qui est rare pour l’époque dans la caste militaire. Avant tout
nationaliste, il veut le maintien de la Russie dans la guerre, que ce soit sous l’autorité du
gouvernement provisoire ou sans lui. Beaucoup plus
bonapartiste voire pré-
fasciste que monarchiste
[28], il n’en devient pas moins très vite le nouvel espoir des anciennes classes dirigeantes, noblesse et grande bourgeoisie, et de tous ceux qui aspirent à un retour à l’ordre, ou simplement à un châtiment sévère des
défaitistes bolcheviques.
Alexandre Kerensky, chef du
gouvernement provisoireDans les usines et l’armée, le danger d’une contre-révolution prend corps. Les syndicats, dans lesquels les bolcheviks sont majoritaires (malgré la répression), organisent une
grève massivement suivie. La tension monte progressivement, marquée par la radicalisation du discours des partis. Ainsi le 20 août, au comité central du
Parti KD (Constitutionnel démocratique), son dirigeant
Milioukov déclare : « Le prétexte en sera-t-il fourni par des émeutes de la faim ou par une action des bolcheviks, en tout cas la vie poussera la société et la population à envisager l’inéluctabilité d’une opération chirurgicale. » L’Union des officiers de l’armée et de la flotte, organisation influente dans les corps supérieurs de l’armée russe et financée par les milieux d’affaires, appelle à l’établissement d’une
dictature militaire. Sur le front, le capitaine Mouraviev, membre du parti
SR, constitue plusieurs bataillons de la mort et assure que ces « bataillons ne sont pas destinés au front, mais aussi à Petrograd, quand il faudra régler leurs comptes aux bolcheviks
[29]. »
Fin août 1917,
Kornilov organise un soulèvement armé, et jette 3 régiments de cavalerie par voie de chemin de fer sur Petrograd, dans le but affiché d’écraser dans le sang les soviets et les organisations ouvrières et de remettre la Russie dans la guerre. Face à l’incapacité du gouvernement provisoire à se défendre, les bolcheviks organisent la défense de la capitale. Les ouvriers creusent des tranchées, les cheminots envoient les trains sur des voies de garage, et les troupes finissent par se dissoudre.
Les conséquences du
putsch sont importantes : les masses se sont réarmées, les bolcheviks peuvent sortir de leur semi-clandestinité, les prisonniers politiques de juillet, dont
Trotsky, sont libérés par les marins de
Kronstadt. Pour mâter le putsch,
Kerensky a appelé à l’aide tous les partis révolutionnaires, acceptant la libération et l’armement des bolcheviks eux-mêmes. Il a perdu le soutien de la droite, qui ne lui pardonne pas l’échec du putsch, sans pour autant rallier la gauche, qui le juge trop indulgent dans la répression des complices de
Kornilov, encore moins l’extrême-gauche bolchevique, à laquelle
Lénine, de sa cachette, a fixé le mot d’ordre : « Aucun soutien à Kerensky, lutte contre Kornilov ».
L’ébullition populaire, l’explosion paysanne et la montée des bolcheviks[
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Meeting du
parti bolchvik (
Lénine est à droite sur la photographie).
De plus en plus d’ouvriers et soldats pensent qu’il ne saurait y avoir de conciliation entre l’ancienne société défendue par
Lavr Kornilov et la nouvelle. Le
putsch et l’effondrement du
gouvernement provisoire, en donnant aux
soviets la direction de la résistance, renforce l’autorité et accroît l’audience des
bolcheviks. Leur prestige se trouve grandi : aiguillonnées par la contre-révolution, les masses se radicalisent, des soviets, des syndicats se rangent du côté des bolcheviks. Le 31 août, le soviet de Petrograd accorde la majorité aux bolcheviks, et élit Léon Trotski à sa présidence le 30 septembre.
Toutes les élections témoignent de cette montée ; ainsi, aux élections municipales de Moscou, entre juin et septembre, les
SR passent de 375 000 suffrages à 54 000, les
mencheviks de 76 000 à 16 000, les démocrates constitutionnels (KD) de 109 000 à 101 000, alors que les bolcheviks passent de 75 000 à 198 000 voix. Le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets » dépasse largement les bolcheviks et est repris par des ouvriers SR ou mencheviks. Le 31 août, le soviet de Petrograd et 126 soviets de province votent une résolution en faveur du pouvoir des soviets.
La révolution se poursuit et s’accélère, surtout dans les campagnes. Pendant cet été 1917, les paysans passent à l’action, et s’emparent des terres des seigneurs, sans plus attendre la
réforme agraire promise et constamment retardée par le gouvernement. La paysannerie russe renoue en fait avec sa longue tradition de vastes soulèvements spontanés (le bunt), qui avaient déjà marqué le passé national, ainsi lors des grandes révoltes de
Stenka Razine au
XVIIe siècle ou d'
Emelian Pougatchev (
1774-
1775) au temps de
Catherine II. Pas toujours violentes, ces occupations massives des terres sont toutefois souvent le théâtre de déchaînements spontanés où les propriétés des maîtres sont brûlées, eux-mêmes maltraités voire assassinés. Cette immense
jacquerie, sans doute la plus importante de l’histoire européenne, est globalement victorieuse, et les terres sont partagées, sans que le gouvernement ne condamne ni ne ratifie le mouvement.
Apprenant que le « partage noir
[30] » est en train de s’accomplir dans leurs villages, les soldats, largement d’origine paysanne, désertent en masse afin de pouvoir participer à temps à la redistribution des terres. L’action de la propagande
pacifiste, le découragement après l’échec de l’ultime offensive de l’été font le reste. Les tranchées se vident peu à peu.
Ainsi les bolcheviks, qu’on qualifiait encore en juillet d’une « insignifiante poignée de démagogues
[31] » contrôlent la majorité du pays.
[réf. nécessaire] Dès juin 1917, à une séance du Ier
congrès des soviets,
Lénine avait déjà annoncé ouvertement que les bolcheviks étaient prêts à prendre le pouvoir, mais sur le moment ses paroles n’avaient pas été prises au sérieux
[32].
Révolution d'octobre 1917[
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Article détaillé :
Révolution d'Octobre.
En octobre 1917,
Lénine et
Trotsky considèrent que le moment est venu d’en finir avec la situation de double pouvoir. La conjoncture leur est opportune, tant sont grands le discrédit et l'isolement du gouvernement provisoire, déjà réduit à l'impuissance, tout comme l'impatience de leur propre base.
L’insurrection[
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Les débats au sein du
comité central du
Parti bolchevique afin que celui-ci organise une insurrection armée et prenne le pouvoir sont vifs. Certains autour de
Kamenev et
Zinoviev considèrent qu’il faut encore attendre, car le parti est déjà assuré de la majorité dans les
soviets, et se retrouverait à leur avis isolé en Russie comme en Europe s’il prenait le pouvoir seul et non au sein d’une coalition de partis révolutionnaires. Mais Lénine et Trotsky l’emportent et après avoir résisté, le Comité approuve et organise l’insurrection, dont
Lénine fixe la date pour la veille de l’ouverture du IIe congrès des soviets, qui doit se réunir le 25 octobre.
Un
Comité militaire révolutionnaire est créé au sein du
soviet de Petrograd et dirigé par Trotsky, président de ce dernier. Il est composé d’ouvriers armés, de soldats et de marins. Il s’assure le ralliement ou la neutralité de la garnison de la capitale, et prépare méthodiquement la prise d’assaut des points stratégiques de la ville. La préparation du coup de force se fait presque au vu et au su de tous, les plans livrés par Kamenev et Zinoviev sont même disponibles dans les journaux, et Kerensky lui-même en vient à souhaiter l’affrontement final qui viderait l’abcès
[33].
Le
Comité militaire révolutionnaire de
Petrograd annonce la déposition du
gouvernement provisoire.
L’insurrection est lancée dans la nuit du 6 au
7 novembre 1917 (24 au
25 octobre du
calendrier julien). Les événements se déroulent presque sans effusion de sang. Les
gardes rouges conduits par les bolcheviks prennent sans résistance le contrôle des ponts, des gares, de la banque centrale, des centrales postale et téléphonique, avant de lancer un assaut final sur le
palais d'Hiver. Les films officiels tournés plus tard montrèrent ces évènements sous un angle héroïque, bien que dans la réalité les insurgés n’eurent à faire face qu’à une faible résistance. En effet, parmi les troupes cantonnées dans la capitales, seuls quelques bataillons d’élèves officiers (junkers) soutiennent le
gouvernement provisoire, l’immense majorité des régiments se prononçant pour le soulèvement ou se déclarant neutres. On ne dénombre que cinq morts et quelques blessés
[34]. Pendant l’insurrection, les tramways continuent à circuler, les théâtres à jouer, les magasins à ouvrir. Un des événements décisifs du
XXe siècle a lieu sans que grand monde s’en rende compte
[35].
Si une poignée de partisans a pu se rendre maître de la capitale face à un gouvernement provisoire que plus personne ne soutient, le soulèvement doit maintenant être ratifié par les masses. Le lendemain, 25 octobre,
Trotsky annonce officiellement la dissolution du gouvernement provisoire lors de l’ouverture du Congrès pan-russe des soviets des députés ouvriers et paysans (562 délégués étaient présents, dont 382
bolcheviks et 70
SR de gauche[36]).
Mais une partie des délégués considéraient que Lénine et les bolcheviks avaient pris le pouvoir illégalement, et une cinquantaine quittèrent la salle
[37]. Les démissionnaires, socialistes révolutionnaires de droite et mencheviks, créeront dès le lendemain un « Comité de Salut de la Patrie et de la Révolution »
[38]. Ces défections furent accompagnées de cette résolution improvisée de Léon Trotsky : « Le 2e Congrès doit constater que le départ des mencheviks et des SR est une tentative criminelle et sans espoir de briser la représentativité de cette assemblée au moment où les masses s’efforcent de défendre la révolution contre les attaques de la contre-révolution
[39] ». Le jour suivant, les Soviets ratifient la constitution d’un
Conseil des commissaires du peuple intégralement constitué de bolcheviks, comme base du nouveau gouvernement, en attendant la convocation d’une
assemblée constituante. Lénine se justifiera le lendemain aux représentant de la garnison de Petrograd en affirmant « Ce n’est pas notre faute si les S-R et les mencheviks sont partis. Nous leur avons proposé de partager le pouvoir [...]. Nous avons invité tout le monde à participer au gouvernement. »
[40]Le nouveau gouvernement[
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Dans les quelques heures qui suivirent, une poignée de décrets allait jeter les bases du nouveau régime. Lorsque Lénine fit sa première apparition publique, il fut ovationné et sa première déclaration fut : « Nous allons maintenant procéder à la construction de l’ordre socialiste ».
Tout d’abord,
Lénine annonce l’abolition de la diplomatie secrète et la proposition à tous les pays belligérants d’entamer des pourparlers « en vue d’une paix équitable et démocratique, immédiate, sans annexions et sans indemnités ».
Ensuite, est promulgué le décret sur la terre : « la grande propriété foncière est abolie immédiatement sans aucune indemnité ». Il laisse aux soviets de paysans la liberté d’en faire ce qu’ils désirent, socialisation de la terre ou partage entre les paysans pauvres. Le texte entérine en fait une réalité déjà existante, puisque les paysans se sont déjà emparés des terres pendant l’été 1917. Mais ce faisant, il gagne aux bolcheviks la neutralité bienveillante des campagnes, au moins jusqu’au printemps 1918.
Enfin un nouveau gouvernement, baptisé « conseil des commissaires du peuple » est nommé. D’autres mesures suivront, comme une nouvelle abolition de la
peine de mort (malgré la réticence de Lénine qui la jugeait indispensable), la
nationalisation des banques (14 décembre), le contrôle ouvrier sur la production, la création d’une milice ouvrière, la souveraineté et l’égalité de tous les peuples de Russie, leur droit à disposer d’eux-mêmes y compris par la séparation politique et la constitution d’un État national indépendant
[41], la suppression de tout privilège à caractère national ou religieux, etc. La réussite d’Octobre acheva dans l’immédiat certains prémices de la Révolution russe nés en février, en prenant en 33 heures des mesures que le gouvernement provisoire n’avait pas pris en 8 mois d’existence.
En
1871, les ouvriers parisiens avaient pris le pouvoir pendant la
Commune de Paris. Cette première expérience de «
dictature du prolétariat » (comme
Friedrich Engels l’a qualifiée
[42]) s’était terminée par le massacre de 10 000 à 20 000 communards et des déportations en masse. En prenant le pouvoir à Petrograd,
Lénine et
Trotsky savaient qu’ils ne pourraient tenir sans le renfort de pays industrialisés, l’Allemagne, la France et l’Angleterre ; en attendant, il s’agit pour eux de tenir plus que les 72 jours de la Commune de Paris
[43].
La nature d’Octobre : révolution, coup d’État, coup d’État et révolution ?[
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Dès les premières heures qui suivent le 7 novembre, et jusqu’à nos jours, nombre d’acteurs et de commentateurs ont considéré la «
révolution d'Octobre » comme étant en réalité un simple
coup d'État d’une minorité résolue et organisée, qui visait à donner « tout le pouvoir aux bolcheviks »
[44] et non aux soviets.
L'Humanité, principal quotidien socialiste français, titre ainsi le 9 sur le « coup d’État en Russie » qui vient d’amener Lénine et les « maximalistes » au pouvoir.
L’historien Alessandro Mongili relève d’ailleurs que dans les années suivantes, les bolcheviks eux-mêmes n’hésitent pas à parler entre eux de leur « coup » d’Octobre (perevorot)
[45]. Dans son autobiographie,
Trotsky utilise indifféremment les termes « insurrection », « conquête du pouvoir » et « coup d’État »
[46]. La communiste allemande
Rosa Luxemburg parle elle aussi du « coup d’État d’octobre »
[47].
Marc Ferro considère qu’Octobre est à la fois, techniquement, un
putsch, mais qui ne s’explique que dans le contexte d’ébullition révolutionnaire générale dans tout le pays et dans toute la société. Les forces populaires ont apporté un soutien au moins tacite à l’entreprise bolchevique, face à un gouvernement discrédité et déjà impuissant :
« Aux militants révolutionnaires de 1917, Octobre apparut comme un coup d’État contre la démocratie, comme une sorte de putsch accompli par une minorité qui sut prendre le pouvoir et le garder. Jugement excessif puisqu’au IIe Congrès des soviets, réuni en pleine insurrection, il y avait une majorité de bolcheviks, qu’une partie des
SR et des
mencheviks s’y rallia aux vainqueurs, et que les futurs dirigeants de l’État soviétique,
Lénine,
Trotsky,
Kamenev,
Zinoviev, étaient élus en tête du Présidium. (...) Le jugement des nouveaux opposants,
mencheviks,
populistes,
anarchistes, est également partial en ce sens que les bolcheviks accomplissaient par priorité après six mois de lutte et de tergiversations ce que les classes populaires demandaient : que les chefs militaires, les propriétaires, les riches, les prêtres et autres « bourgeois » soient définitivement expulsés de l’Histoire. Par contre, il est indéniable qu’en participant à l’insurrection et en aidant les
bolcheviks à prendre le pouvoir, les soldats, ouvriers et marins croyaient que le pouvoir passerait aux
Soviets. Pas un instant, ils n’imaginaient que les bolcheviks, en leur nom, garderaient ce pouvoir pour eux tout seuls, et pour toujours
[48]. »
Évoquant les « paradoxes et malentendus d’Octobre »,
Nicolas Werth résume ainsi
les débats et les thèses opposées, souvent non dénués d’arrière-pensées et de parti-pris idéologiques :
« Pour une première école historique qu’on pourrait qualifier de «
libérale », la révolution d’Octobre n’a été qu’un putsch imposé par la violence à une société passive, résultat d’une habile conspiration tramée par une poignée de fanatiques disciplinés et cyniques, dépourvus de toute assise réelle dans le pays. Aujourd’hui, la quasi-totalité des historiens russes, comme les élites cultivées et les dirigeants de la
Russie post-communiste a fait sienne la vulgate libérale. Privée de toute épaisseur sociale et historique, la révolution d’Octobre 1917 n’a été qu’un accident qui a détourné de son cours naturel la Russie pré-révolutionnaire, une Russie riche, laborieuse et en bonne voie vers la démocratie (...). Si le coup d’État bolchévique de 1917 n’a été qu’un accident, alors le peuple russe n’a été qu’une victime innocente. Face à cette interprétation, l’historiographie soviétique a tenté de montrer qu’Octobre avait été l’aboutissement logique, prévisible, inévitable, d’un itinéraire libérateur entrepris par les "masses" consciemment ralliées au bolchevisme. (...) Rejetant la vulgate libérale comme la vulgate marxisante, un troisième courant historiographique s’est efforcé de "dés-idéologiser" l’histoire, de comprendre, comme l’écrivit
Marc Ferro, que l’insurrection d’Octobre 1917 ait pu être à la fois un mouvement de masse et que seul un petit nombre y ait participé. (...) »
C’est pourquoi, selon cet historien, loin des « simplismes »
libéraux ou
marxistes,
« la révolution d’Octobre 1917 nous apparaît comme la convergence momentanée de deux mouvements : une prise du pouvoir politique, fruit d’une minutieuse préparation insurrectionnelle, par un parti qui se distingue radicalement, par ses pratiques, son organisation et son idéologie, de tous les autres acteurs de la révolution ; une vaste révolution sociale, multiforme et autonome (...) une immense
jacquerie paysanne d’abord, [...] l’année 1917 [étant] une étape décisive d’une grande révolution agraire, [...] une décomposition en profondeur de l’armée, formée de près de 10 millions de soldats-paysans mobilisés depuis 3 ans dans une guerre dont ils ne comprenaient guère le sens (...), un mouvement revendicatif ouvrier spécifique, (...), un quatrième mouvement enfin (...) à travers l’émancipation rapide des nationalités et des peuples allogènes (...). Chacun de ces mouvements a sa propre temporalité, sa dynamique interne, ses aspirations spécifiques, qui ne sauraient évidemment être réduites ni aux slogans bolcheviques ni à l’action politique de ce parti (...). Durant un bref mais décisif instant - la fin de l’année 1917 - l’action des
Bolcheviks, minorité politique agissante dans le vide institutionnel ambiant, va dans le sens des aspirations du plus grand nombre, même si les objectifs à moyen et à long terme sont différents pour les uns et pour les autres. »
Selon sa conclusion, en octobre 1917, « momentanément, coup d’État politique et révolution sociale se télescopent, avant de diverger vers des décennies de dictature »
[49].
Les débuts du régime bolchevique[
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En prenant le pouvoir à Petrograd,
Lénine et
Trotsky n’ont nullement l’intention de construire le
socialisme dans la seule Russie, sous-développée et arriérée. Mais ils espèrent être la première victoire ouvrière d’une série de révolutions dans les
pays industrialisés d’Europe, qui seule permettrait à la
révolution de tenir. Ils misent en particulier sur l’
Allemagne, première puissance industrielle du continent et foyer du
mouvement ouvrier le plus fort et le plus anciennement organisé du monde. Trotsky a déclaré au Congrès des soviets qui approuve l’insurrection : « Ou bien la Révolution russe soulèvera le tourbillon de la lutte en Occident, ou bien les capitalistes de tous les pays étoufferont notre révolution. »
[réf. nécessaire]Mais ce n’est qu’un an plus tard, toutefois, qu’une vague de révolutions éclate en Allemagne (
révolution allemande de novembre 1918-1919) ou en Hongrie (où une
République des conseils voit le jour pour 133 jours, dirigée par
Bela Kun). En Finlande voisine, la révolution a été vaincue dès mars 1918 au prix d’une guerre civile, avec l’aide des Allemands ; la
Terreur blanche y fait 35 000 morts. En janvier 1919, la social-démocratie allemande fait appel aux
corps francs pour réprimer dans le sang la révolution ouvrière ; les dirigeants
spartakistes Karl Liebknecht et
Rosa Luxemburg sont assassinés. En 1919-1920, d’autres pays, comme l’Italie, connaissent des grèves insurrectionnelles. Ailleurs, comme en France, au
Royaume-Uni ou aux États-Unis, une vague de grèves et de manifestations ne débouche sur aucune tentative révolutionnaire.
La vague révolutionnaire, plus tardive que prévue, a donc fini par reculer, et le pouvoir bolchevique reste aussi isolé qu’à ses premiers jours. Les bolcheviks sont confrontés seuls aux immenses difficultés d’une Russie en explosion, où leur prise solitaire du pouvoir ne fait nullement l’unanimité.
La situation économique au lendemain de la révolution d’Octobre[
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La
Première Guerre mondiale a saigné la Russie et l’a privée d’une grande part de ses approvisionnements. Dans les campagnes, n’ayant plus de biens de consommation à acheter contre leurs grains, les paysans ont déjà cessé de ravitailler les villes avant même la
révolution de Février. Déjà le
gouvernement provisoire de
Kerensky avait dû procéder à des réquisitions forcées des stocks de nourriture afin de nourrir les villes, où la
famine guettait. En arrivant au pouvoir, les bolcheviks tentent de renoncer à ces pratiques impopulaires, mais devant l’aggravation de la situation sanitaire et économique, ils devront y recourir à nouveau.
La production industrielle a été minée par la guerre, les grèves et les fermetures patronales. Avant même l’arrivée au pouvoir des bolcheviks, elle a déjà chuté des trois quarts
[50]. La situation économique n’est évidemment pas améliorée par l’occupation de la riche
Ukraine par les troupes allemandes, ni par l’
embargo sur la Russie décrété en 1918 par les principales puissances (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Allemagne et Japon), ni par les débuts de la
guerre civile.
De surcroît, Lénine et Trotsky, fascinés par le
dirigisme économique militarisé mis en place par l’état-major prussien en
Allemagne, veulent remettre les ouvriers au travail selon des méthodes similaires, afin de pouvoir tenir le choc face à la future
contre-révolution[51]. Or beaucoup de travailleurs n’ont nullement envie de renoncer à leurs conquêtes et de revenir aux efforts énormes et à l’autoritarisme exigé par la
guerre totale. La coercition à leur encontre devient vite inévitable
[52].
La situation se dégrade donc brutalement, provoquant en quelques mois une quasi-disparition de toute activité économique dans le pays. En janvier
1918, la ration de blé moyenne dans les grandes villes tombe à 3 livres par mois. Des entreprises doivent fermer, les ouvriers ne trouvant plus de quoi se nourrir, des bandes de pillards parcourent les campagnes à la recherche de nourriture, des détachements de déserteurs se heurtent à l’armée.
Bolcheviks et paysannerie : du malentendu au conflit[
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L’un des premiers décrets du gouvernement
bolchevique a entériné l’abolition déjà effective de la grande propriété foncière et l’initiative laissée aux
paysans quant à la répartition ou la socialisation des terres. Ce décret est en rupture avec le programme bolchevique, qui prévoyait la
nationalisation des terres.
Pour certains, il s’agit là d’une manœuvre des bolcheviks : ils ont habilement repris depuis plusieurs mois le programme des
SR, que ces derniers ont été incapables de mettre en œuvre. Il marque aussi un malentendu entre les bolcheviks et les paysans. Les premiers visent à terme au collectivisme intégral, les seconds à l’extension et à la multiplication de la petite propriété. Mais de ce fait les paysans ne sont que conjoncturellement séduits par le parti de
Lénine, qui reste avant tout collectiviste, urbain et ouvriériste.
De leur côté, les bolcheviks se déclarent toujours partisans de la nationalisation, mais reconnaissent n’avoir ni le désir ni les moyens de l’imposer aux paysans. Lénine écrit :
« Nous ne pouvons ignorer la décision de la base populaire, quand bien même nous ne serions pas d’accord avec elle... Nous devons donner aux masses populaires une entière liberté d’action créatrice... En somme, et tout est là, la classe paysanne doit obtenir la ferme assurance que les nobles n’existent plus dans les campagnes, et il faut que les paysans eux-mêmes décident de tout et organisent leur existence. »
En effet, pour les bolcheviks, c’est la
réforme agraire qui est à l’ordre du jour et non la construction d’une société
socialiste, qu’ils pensent impossible dans un pays aussi pauvre. Conscients donc qu’ils ne pourraient gouverner sans l’appui des masses rurales, l’immense majorité du pays, les bolcheviks convoquent du 10 au 16 novembre un congrès paysan. Malgré une majorité SR hostile aux bolcheviks, ce dernier ratifie le décret sur la terre et apporte son soutien au nouveau gouvernement, consacrant l’union provisoire entre le prolétariat urbain et la paysannerie.
Ainsi, dans les quelques mois très difficiles qui précèdent le
traité de Brest-Litovsk, le nouveau pouvoir a réussi à éviter le danger de s’aliéner de surcroît les masses rurales, alors qu’il est déjà confronté à l’hostilité des tsaristes, des libéraux et d’une majeure partie des formations socialistes. Mais il hérite du problème catastrophique du ravitaillement des villes, qui a déjà fait tomber
Nicolas II et
Kerensky. La nécessité de procéder à des réquisitions de céréales s’il veut survivre porte en elle les germes d’un grave conflit avec la paysannerie. Les
soviets organisent donc dès le printemps 1918 des détachements d’ouvriers, chargés de procéder à des réquisitions dans les campagnes. La violence fréquente de leurs méthodes, et celle de la résistance paysanne
[53], entraînent à leur tour une chute notable de la production agricole. Ultérieurement, les
Blancs, bien que proclamant le
libre-échange, seront eux-aussi contraints de recourir aux réquisitions forcées.
Les premiers combats de la guerre civile (automne 1917)[
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Si la révolution fut un succès à
Petrograd, la tentative de prendre
Moscou du 28 octobre au 2 novembre rencontra de violentes résistances. Les bolcheviques occupent le Kremlin mais la direction locale de leur parti hésite et signe une trêve avec les autorité S-R de la ville avant d’évacuer le bâtiment. Les troupes gouvernementales en profitent alors pour abattre à la mitrailleuse 300 gardes rouges et ouvriers désarmés, sous les ordres du maire socialiste-révolutionnaire Roudnev
[54]. Il faudra une semaine de combats acharnés avant que les bolcheviks, conduits par le jeune
Nicolas Boukharine, ne s’emparent finalement du
Kremlin et prennent le contrôle de la ville. Leurs opposants (
SR et
monarchistes) ont mené une sanglante répression.
Dès le 12 novembre, le nouveau pouvoir fait échec à une tentative de reconquête de Petrograd menée par
Kerensky et les
Cosaques du général
Krasnov. De son côté, le grand Quartier général (la « stavka ») de l’armée russe annonce le 31 octobre sa volonté de marcher sur Petrograd « afin d’y rétablir l’ordre ». Rejoint par les chefs du parti SR,
Tchernov et
Gots, mais abandonné par ses troupes, l’état-major doit fuir dès le 18 novembre.
Dans les semaines qui suivent, des milliers de junkers et d’officiers dont Kornilov, évadé, rejoignent la région du Don. L’
Armée des volontaires y est montée par le général tsariste
Alexéïev. Elle réprime dans le sang les soulèvements ouvriers à
Rostov-sur-le-Don et
Taganrog, les 26 novembre et 2 janvier, mais est disloquée par la guérilla des gardes rouges venus en renfort des deux capitales. Apprenant la déroute des Blancs, Lénine croit pouvoir s’exclamer, le 1er avril 1918, que la
guerre civile est terminée.
D’autres combats sont menés dans le
Kouban, où le pouvoir des soviets s’installe provisoirement à Ekatérinodar. Quant au soulèvement des cosaques de l’
Oural, il se conclut par un échec. Sur le front roumain, l’armée se décompose en détachements blancs, qui
rejoindront l’armée blanche de
Dénikine, et en régiments rouges.
Le problème de la coalition[
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Le 2e congrès des soviets avait approuvé la nomination du gouvernement composé uniquement de
bolcheviks. Or, pour de nombreux militants bolcheviques, cette solution n’est pas acceptable. Dès le lendemain de l’insurrection, la quasi-totalité des délégués au congrès des soviets votent une résolution du
menchevik Julius Martov, soutenue par le bolchevik
Anatoli Lounatcharski, demandant que le
Conseil des commissaires du peuple soit élargi à des représentants d’autres partis socialistes. Le puissant syndicat des cheminots, le Vikhjel, reprend cette revendication.
Après de vifs débats au sein du parti bolchevique, qui mettent ce dernier au bord de la scission (plusieurs dirigeants démissionnent pour dénoncer le refus d’une coalition par
Lénine, dont
Zinoviev,
Kamenev,
Rykov et
Noguine), Lénine, mis en minorité, est contraint de transiger : il refuse la poursuite des négociations en vue d’une coalition unissant tous les socialistes, mais accepte qu’elles se poursuivent avec les seuls
SR de gauche. Certains SR de gauche entrent ainsi au gouvernement en décembre 1917.
Les premiers jours d’un nouvel État[
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Les avis sur les premiers jours suivant le changement de pouvoir d’Octobre sont partagés.
Pour certains, il s’agit dès le début d’une
dictature.
Maxime Gorki écrit le 7 décembre 1917 : « Les bolcheviks ont placé le Congrès des soviets devant le fait accompli de la prise du pouvoir par eux-mêmes, non par les soviets. [...] Il s’agit d’une république oligarchique, la république de quelques commissaires du peuple. »
[55]Dès le lendemain du 7 novembre, sept journaux de la capitale sont interdits
[56]. Il s'agit selon
Victor Serge de sept journaux prônant ouvertement la résistance armée au « coup de force des agents du Kaiser ». Mais les partis socialistes conservent leur presse, comme celui de
Maxime Gorki. Selon Victor Serge, la presse légale menchevique ne disparaît qu’en
1919, celle des
anarchistes hostiles au régime en
1921, celle des SR de gauche dès juillet 1918 du fait de leur révolte contre les bolcheviks.
Mais les bolcheviks s’étaient, avant qu’ils prennent le pouvoir, prononcés pour la liberté de la presse, y compris Lénine
[57], et cette volte-face n’est pas acceptée par de nombreux bolcheviks
[58]. Marc Ferro considère que « contrairement à la légende, la suppression de la presse bourgeoise ou des feuilles SR n'émane ni de Lénine ni des sphères dirigeantes du parti bolcheviks » mais « du public, en l'occurrence des milieux populaires insurgés »
[59].
Alors qu'à peu près tous les fonctionnaires de Petrograd se sont mis en grève pour protester contre le coup de force, des listes publiques dénoncent ceux qui refusent de servir le nouveau pouvoir. Le 10 décembre, les dirigeants du
parti KD, qui ont pris la tête de la résistance armée au gouvernement bolchevique, sont déclarés en état d'arrestation
[60].
D'autres estiment que c’est surtout la clémence qui marque les premiers temps du régime soviétique
[61]. Les ministres du
gouvernement provisoire sont arrêtés, et rapidement relâchés. La plupart participeront par la suite à la
guerre civile aux côtés des
armées blanches. Le général
Krasnov, qui s'est soulevé au lendemain de l'insurrection d'Octobre, est remis en liberté avec d'autres officiers contre leur parole de ne pas reprendre les armes contre le régime soviétique. Ils formeront les cadres de l’armée blanche dans les mois suivants.
Pour
Nicolas Werth, le nouveau pouvoir entreprend une reconstruction autoritaire de l'État au détriment des instances de
contre-pouvoir nées spontanément de la
société civile : comités d'usine, coopératives, syndicats ou soviets sont déjà noyautés, subordonnés ou transformés en coquilles vides. « En quelques semaines (fin octobre-1917 - janvier 1918), le « pouvoir par en-bas », le « pouvoir des soviets » qui s'était développé de février à octobre 1917 (...) se transforme en un pouvoir par en-haut, à l'issue de procédures de dessaisissement
bureaucratiques ou autoritaires. Le pouvoir passe de la société à l'État, et dans l'État au
parti bolchevik »
[62].
La paix de Brest-Litovsk[
modifier]
Article détaillé :
Traité de Brest-Litovsk.
En prenant le pouvoir en Russie, les bolcheviks avaient l'espoir d'un soulèvement révolutionnaire en
Europe. Celui-ci ne se produisant pas, la paix promise en octobre devient une nécessité absolue pour satisfaire l'armée et la paysannerie. Il s'agit à la fois de signer la paix, de se servir des négociations pour montrer la politique d'expansions territoriales des gouvernements bourgeois, mais sans paraître prendre parti pour les
Empires centraux.
Un
armistice est signé le 15 décembre et des pourparlers de paix commencent le 22 décembre, la délégation russe étant conduite par Trotski, qui a fait publier dans l'intervalle tous les traités secrets et les plans de partage conclus entre puissances. Les exigences allemandes sont énormes : la
Pologne, la
Lituanie, et la
Biélorussie doivent rester sous occupation allemande. Un débat fait rage entre les bolcheviks au sein du parti où trois positions s'affrontent. Certains, comme
Boukharine défendent la nécessité d'une guerre révolutionnaire,
Lénine pense qu'il faut céder le couteau sous la gorge, et
Trotsky, qui l'emporte par 9 voix contre 7, propose de refuser de signer une paix d'annexion mais de déclarer la fin de la guerre.
En réaction l'armée allemande lance une offensive le 17 janvier, qui avance rapidement en
Ukraine. La position de
Lénine pour la signature immédiate de la paix l'emporte alors le 18 janvier dans le parti, mais les conditions exigées par les Allemands se sont encore aggravées. Le 3 mars 1918, les bolcheviks signent le
traité de Brest-Litovsk qui ampute la Russie de 26 % de sa population, 27 % de sa surface cultivée, 75 % de sa production d'acier et de fer. La situation économique de la jeune république soviétique, déjà ravagée par une guerre meurtrière de 4 ans semble désespérée.
La création de la Tchéka[
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Emblèmes de la
Tchéka : l'épée et le bouclier.
Dès le 20 décembre 1917, la « Commission extraordinaire de lutte contre le sabotage et la contre-révolution » (en
russe Vétchéka), plus communément appelée
Tchéka, est fondée. Son action n'a aucune base légale ni judiciaire (le décret qui la fonde n'est rendu public qu'après la mort de Lénine), et elle est d'abord conçue comme un instrument provisoire de répression, indépendant de la justice. Elle est dirigée par un collège de cinq membres (trois bolcheviks et deux
SR) présidé par
Félix Dzerjinski. Parmi les « saboteurs » et ennemis prévus par le décret figurent
KD,
SR de droite, journalistes, grévistes... D'emblée la Tchéka multiplie les appels à la délation et à la constitution de Tchékas locales. Fondée avec 100 fonctionnaires (dont
Menjinski,
Peters,
Iagoda), elle en compte 12 000 dès juillet 1918. Lorsqu'elle arrive à Moscou et s'installe à la
Loubianka, le 10 mars 1918, elle a sur place 600 membres. En juillet elle en a 2000. Dès cette date, les effectifs policiers des bolcheviks sont supérieurs à ceux de l'
Okhrana sous
Nicolas II.
[réf. nécessaire]Selon
Pierre Broué, la Tchéka ne commence vraiment à frapper qu'à partir de mars au moment de l’offensive allemande, et la répression prend surtout son ampleur à l’été 1918 après l’insurrection des
SR de gauche de Moscou et une série d’attentats contre les dirigeants bolcheviques dont
Moïsseï Ouritsky, assassiné le 30 août, et
Lénine lui-même, grièvement blessé par
Fanny Kaplan, sommairement exécutée peu après. Déclarant s’inspirer de l’exemple des
Jacobins de la
Révolution française, les dirigeants bolcheviques déclarent opposer à la «
terreur blanche » la «
terreur rouge ». Selon la Tchéka elle-même, il y a 22 exécutions dans les six premiers mois de 1918, 6 000 pour les six derniers.
[réf. nécessaire]Victor Serge estime que la création de la Tchéka, avec ses procédures secrètes, est la plus grave erreur du pouvoir bolchevique. Il note toutefois que la jeune république vivait sous des « périls mortels » et que la terreur blanche a précédé la terreur rouge. Il précise que
Dzerjnski redoutait les excès des tchéka locales et que bien des tchékistes furent eux-mêmes fusillés pour cela.
Isaac Steinberg, commissaire du peuple à la Justice (SR de gauche), rapporte dans ses souvenirs qu'alors qu'il tentait début 1918 de freiner les actions illégales de la Tchéka, en s'exclamant devant
Lénine : « À quoi bon un Commissariat à la Justice ? Appelons-le commissariat à l’extermination sociale, la cause sera entendue », Lénine répondit : « Excellente idée, c’est comme ça que je vois la chose. Malheureusement, on ne peut l’appeler ainsi. »
[63]La dissolution de la Constituante[
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Réclamée par tous les programmes des partis révolutionnaires depuis le XIXe siècle, l'
assemblée constituante russe est élue en décembre 1917. Bien qu'ils atteignent 25 % des voix et obtiennent plusieurs succès dans les grandes agglomérations, les bolcheviks sont minoritaires avec 175 élus sur 707 députés. Les campagnes ont préféré voter pour les
socialistes-révolutionnaires. Selon le mot de
Jacques Baynac[64], les résultats de l'élection indiquaient que le pays ne voulait majoritairement ni du gouvernement issu de la
révolution de Février, ni de celui issu de la
révolution d'Octobre. Il n'y aura cependant pas de révolution de janvier ou de juillet 1918, répression et
guerre civile aidant.
Le SR
Victor Tchernov est élu à la présidence de l'Assemblée, battant la SR de gauche
Maria Spiridonova (soutenue par les bolcheviks) par 246 voix contre 151. La dissolution de la Constituante par les
gardes rouges suit immédiatement sa première réunion, le 19 janvier 1918. Si la majorité de la population reste indifférente à ce coup de force, une manifestation protestant contre la décision a lieu, et vingt des manifestants sont tués :
Maxime Gorki saluera en eux, à leurs obsèques, les martyrs d’une expérience démocratique de quelques heures à peine, attendue pendant cent ans.
Le marxiste
Charles Rappoport écrit à l’époque : « Lénine a agi comme le tsar. En chassant la Constituante, Lénine crée un vide horrible autour de lui. Il provoque une terrible guerre civile sans issue et prépare des lendemains terribles. »
[65] Il écrit également que « la garde rouge de Lénine-Trotsky a fusillé Karl Marx. »
[66]Selon
Martin Malia, « cette dispersion de l’Assemblée constituante est souvent présentée comme le crime suprême des bolcheviques contre la démocratie, sur le même pied que le coup de force d’octobre, ce qui est parfaitement vrai. Mais ce qu’on ne fait pas souvent remarquer, c’est que cette assemblée aurait été bien en peine de gouverner face aux désordres de l’époque. Trotski exagérait à peine lorsqu’il disait que l’Assemblée n’était rien d’autre que le fantôme du gouvernement provisoire : elle était dominée par les mêmes partis qui avaient été incapables de maîtriser la situation en février 1917, et, comme eux, elle était privée de tout appui militaire ou administratif. »
[67]La mise au pas des concurrents révolutionnaires[
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Affiche russe de 1920 : « Vive la révolution mondiale ! »
C’est dès le 9 janvier 1918 que le transfert du gouvernement à
Moscou est envisagé, alors que les négociations sont en cours à
Brest-Litovsk, et que l'
armistice avec l'
Allemagne tient toujours. Contrairement à ce qui sera affirmé par la suite, cette translation, effective en mars, n'est donc pas due aux offensives allemandes et
blanches mais à une peur que les quartiers ouvriers de Petrograd, toujours affamés et exaspérés, se soulèvent à nouveau, mais cette fois contre le pouvoir né d'Octobre. Il s'agit aussi de démontrer spectaculairement aux opposants de toute sorte que le pouvoir bolchevique peut subsister même hors de son foyer d'origine petrogradois.
Le 27 mars 1918, la
Tchéka est chargée des délits de presse. La décision permet d'accentuer considérablement la censure de la presse non-bolchevique.
Le 11-12 avril, une vague de répression anti-
anarchiste frappe Moscou : 1000 hommes des troupes spéciales attaquent leur domicile, on compte 520 arrestations, 25 exécutions sommaires. À compter de cette date, les
anarchistes sont qualifiés officiellement de « bandits » : un mot qui aura de la postérité.
Dzerjinski prévient que cette opération n’est qu’un début.
Un net regain d'audience des
SR et des
anarchistes inquiète en effet le pouvoir: là où se tiennent encore des élections locales libres, ils en remportent plus de la moitié. En réaction, en mai-juin 1918, 205 journaux
socialistes sont fermés et la
Tchéka dissout l’arme au poing des dizaines de soviets SR ou mencheviks tout juste élus légalement. C’est le cas à
Riazan,
Tambov,
Orel,
Kazan… Le 14 juin 1918, les
mencheviks et les
SR de gauche sont expulsés du comité exécutif panrusse des soviets, qui ne comprend alors que des Bolcheviques. Le 16 juillet, le journal de
Maxime Gorki, La Vie Nouvelle, est interdit par la police politique.
Dans les villes, la situation alimentaire demeure explosive. Les bolcheviks ne peuvent que reprendre les prélèvements obligatoires effectués par des détachements armés de citadins. Ce qui soude les campagnes contre le pouvoir urbain, et aliène au parti les paysans que le décret sur la terre lui avaient gagné. 150 révoltes paysannes sont réprimées à travers la Russie pour le seul mois de juillet 1918. Mais les rations s’effondrent toujours. Dans des dizaines de villes, la
Tchéka et certains
gardes rouges tirent alors sur des marches de la faim, fusillent des grévistes, brisent les meetings populaires.
Le
lock-out des usines nationalisées devient même un nouveau moyen de répression des grèves. Le 20 juin 1918, en représailles à l’assassinat du responsable bolchevique
V. Volodarski, 800 meneurs ouvriers sont arrêtés à
Petrograd en deux jours, leur soviet dissout. Le 2 juillet, les ouvriers répliquent par une grève générale à travers la cité, en vain.
Refusant ces actes mais aussi le
traité de Brest-Litovsk qu'ils interprètent comme une capitulation face à l'
impérialisme allemand, les
SR de gauche rompent à leur tour avec le gouvernement bolchevique (mars 1918). Le 6 juillet 1918, ils tentent de relancer la guerre contre l'Allemagne en assassinant l'ambassadeur du Reich, le comte
Wilhelm Mirbach. Le même jour, ils tentent de prendre d'assaut le siège de la Tchéka à Moscou.
La montée généralisée des périls[
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En janvier 1918, Lénine avait esquissé un pas de danse dans la neige lorsque le gouvernement issu d'Octobre dépasse d'un jour la durée de la
Commune de Paris de 1871. Dans les mois qui suivent, les dangers s'accumulent, et la Russie rouge se retrouve cernée de tous côtés, tandis que ses convulsions sociales et politiques internes s'aggravent.
Après le
traité de Brest-Litovsk, les pays de l'
Entente mettent la Russie sous
embargo et débarquent des troupes pour empêcher une victoire allemande totale à l'Est. Les Japonais puis les Américains interviennent ainsi à
Vladivostok début avril 1918, les Britanniques à
Mourmansk et
Arkhangelsk. Au même moment, les Turcs pénètrent dans le Caucase et menacent
Bakou, tandis qu'en dépit du traité de Brest-Litovsk, les Allemands tentent de pousser leur avantage : ils aident à l'écrasement de la révolution en Finlande (mars-avril 1918), puis reprennent pendant l'été leur avancée militaire aux
pays baltes et en
Ukraine, qu'ils mettent en coupe réglée et confient à un gouvernement monarchiste fantôche et répressif. La sécession en mai des Républiques du Caucase (
Géorgie,
Arménie et
Azerbaïdjan) accentue la confusion.
Parallèlement, en avril-mai, la
Légion tchèque, formée d'anciens prisonniers et de déserteurs de l'armée austro-hongroise, refuse sa dissolution, et se révolte contre les Bolcheviks. Maîtres de l'
Oural et du
transsibérien, ainsi que de tout l'or de la banque impériale de Russie, saisi à
Kazan, les Tchèques appuient les
SR du
comité des ex-constituants qui forment le 8 juin un contre-gouvernement à
Samara.
Simultanément, les
armées blanches se lèvent en mai à travers le pays, en particulier sur le Don autour des
Cosaques de
Krasnov allié du général
Denikine, et en
Sibérie autour de l'amiral
Koltchak qui installe une autorité tsariste à
Omsk. Dans tous les territoires qu'elles contrôlent, la
terreur blanche s'abat d'emblée sur les populations paysannes insoumises, les Juifs, les libéraux, et les éléments révolutionnaires les plus divers.
Trotsky remporte contre elles les premières victoires importantes de la jeune
Armée rouge en juillet à
Tsaritsyne puis à
Kazan début août.
Le pouvoir bolchevik est confronté au même moment aux révoltes paysannes et ouvrières, ainsi qu'à l'insurrection des
SR de gauche à Moscou le 7 juillet. Ceux-ci renouent ensuite avec le
terrorisme révolutionnaire: après le bolchevik
V. Volodarski le 20 juin et l'ambassadeur
von Mirbach le 7, c'est le général Von Eichhorn, commandant en chef allemand en Ukraine, qui tombe sous leurs balles le 30 juillet à
Kiev. Puis le 30 août, tandis que le chef de la
Tcheka de Petrograd
Moïsseï Ouritsky est tué,
Fanny Kaplan tire à Moscou sur
Lénine et le blesse ; elle est sommairement exécutée trois jours après. Les 3 et 5 septembre, exaspérée, la
Tcheka met la « terreur rouge » à l'ordre du jour. Des milliers de prisonniers et de suspects sont massacrés à travers la Russie rouge.
La guerre civile opposant les bolcheviks à toutes les autres forces est commencée.
De la guerre civile à la NEP (1918-1921)[
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Article détaillé :
Guerre civile russe.
La guerre civile russe n'oppose pas seulement la jeune
Armée rouge aux «
armées blanches » monarchistes soutenues par les armées étrangères. Sa violence extrême n'est pas due non plus qu'au choc de la « terreur blanche » et de la « terreur rouge ». Elle se double en effet d'une guerre des paysans contre les villes et contre toute autorité extérieure au village et aux campagnes. C'est ainsi que des «
armées vertes », composées de paysans qui refusent les enrôlements forcés et les réquisitions, se battent tour à tour contre l'Armée rouge et les armées blanches.
Frontières de 1921
Zone sous le contrôle bolchevique en novembre 1918
Avance maximale des
armées blanchesÀ ces combats se superposent un important conflit de générations (les jeunes paysans revenus des villes ou des armées cherchent à se débarrasser de la tutelle de la famille
patriarcale, et se font les agents les plus déterminés de la révolution dans les campagnes
[68]), l'action des minorités nationales qui cherchent à s'émanciper de la vieille tutelle russe, l'intervention d'armées étrangères (dont le jeune État polonais lors de la
guerre russo-polonaise de
1920), ou encore les tentatives des révolutionnaires anti-bolcheviques. Mais les vues des opposants
SR, du
comité des ex-Constituants, des
mencheviks, ou encore des
anarchistes un temps maîtres de l'
Ukraine lors de la
Makhnovchina, n'ont jamais été en mesure de prévaloir. Par les ralliements, la force ou la répression, les bolcheviks ont imposé leur hégémonie sur la révolution, comme les
Blancs sur l'opposition à la révolution.
Très confuse et chaotique, la guerre civile russe se caractérise par la désintégration de l'
État et de la société sous l'action de
forces centrifuges. Bien des violences sont de ce fait partie de la base et non du sommet. La victoire des
bolcheviks signifiera, dans une Russie ruinée et exsangue, la reconstruction d'un État sous l'autorité d'un Parti unique désormais débarrassé de tous ses rivaux et ennemis, et doté du pouvoir absolu. En particulier, un nouvel
État policier s'est forgé autour de la
Tchéka au cours de la guerre civile et de la « terreur rouge ».
Tout cela au détriment des rêves des révolutions de Février et d'Octobre, qui avaient rejeté toutes les autorités et vu s'affirmer l'autonomie d'une
société civile, désormais très durement meurtrie, épuisée et à nouveau soumise au pouvoir.
Armée rouge contre armées blanches[
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Dès le
23 février 1918, Trotski a fondé l'
Armée rouge. Organisateur énergique et compétent, bon orateur, il sillonne le pays à bord de son train blindé et vole d'un front à l'autre pour rétablir partout la situation militaire, galvaniser les énergies et déployer un énorme effort de
propagande à destination des soldats et des masses. Il rétablit la
conscription et la discipline de fer à l'encontre des combattants et des
déserteurs.
Malgré les réactions négatives de nombreux vieux
bolcheviks, Trotsky n'hésite pas non plus à recycler par milliers les anciens officiers tsaristes. 14 000 d'entre eux (30 % du total) acceptent de servir le nouveau pouvoir parfois par force (leur famille répondent sur leur tête de leur loyauté, en vertu de la « loi des otages »), mais aussi au nom de la continuité de l'État et du salut du pays menacé d'anarchie et de démembrement. Ils sont flanqués de commissaires politiques bolcheviks qui surveillent leur action.
Les « Rouges » ne contrôlent qu'un territoire grand comme l'ancien
grand-duché de Moscovie, et cerné de toutes parts, mais ils ont l'avantage de leur discipline et de leur organisation supérieures, de leur position centrale, de former un bloc cohérent, de disposer des deux capitales, des meilleures routes et voies ferrées. Les
Blancs de
Koltchak,
Youdenitch,
Denikine ou
Piotr Wrangel sont eux divisés et incapables de coordonner leurs offensives. Surtout, ils n'ont rien à offrir aux populations, sinon le retour à un ancien régime unanimement détesté, la restitution des terres aux anciens propriétaires, le refus de toute concession aux minorités nationales, les
pogroms antisémites responsables de près de 150 000 morts
[69]. Aussi les masses ont-elles finalement laissé gagner les bolcheviks, bien que les heurts violents n'aient pas non plus manqué entre elles et ces derniers.
Campagnes contre villes : les « armées vertes »[
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Article détaillé :
Révolte de Tambov.
Aussi bien l'
Armée rouge que les
armées blanches ont été gênées tour à tour dans leurs opérations par l'action des guerillas paysannes. Les «
armées vertes » sont composées de paysans qui refusent l'enrôlement dans les deux armées, les réquisitions forcées et la restitution des terres aux anciens propriétaires fonciers voulue par les
Blancs.
Les déserteurs des deux armées, extrêmement nombreux, sont un vivier essentiel des armées vertes. En 1919-1920, la désertion concerne ainsi pas moins de 3 des 5 millions de recrues de l'Armée rouge ; entre la moitié et les deux tiers réussissent à échapper aux recherches, à l'arrestation et à la réintégration forcée dans l'armée, rejoignant souvent les combattants verts dans les bois
[70]. Les Blancs quant à eux fusillent généralement les déserteurs sans autre forme de procès.
Après la défaite des Blancs fin
1920, la paix ne revient donc vraiment en Russie qu'en
1921-
1922, après l'écrasement des grandes révoltes paysannes comme celle conduite par le
SR Antonov à
Tambov à l'été 1921, la destruction des armées vertes un temps maîtresses d'immenses territoires (en
Sibérie orientale, elles contrôlent jusqu'à un million de km2), et le compromis de la
NEP (mars 1921) passé entre le régime bolchevique et la paysannerie.
Minorités nationales contre Russes[
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La guerre civile coïncide avec l'éclatement de l'ancien empire russe.
Dès la fin 1917, encouragées par le « décret des nationalités », qui prévoit la possibilité de se séparer de la Russie, la
Finlande et la
Pologne ont proclamé leur indépendance. En
Ukraine, la Rada (conseil) de Kiev confie dès 1917 au socialiste et nationaliste
Simon Petlioura la constitution d'une armée nationale, et rompt avec Moscou après la révolution d'Octobre. Aux élections de la Constituante, la
Géorgie s'est donnée une majorité
menchevique qui proclame l'indépendance et constitue un gouvernement internationalement reconnu, y compris par Moscou en 1920 : c'est la République démocratique de Géorgie, dirigée par
Noé Jordania. La
Lettonie a au contraire voté à 72 % pour les bolcheviks. Les Lettons sont nombreux dans les Gardes rouges qui prennent le Palais d'Hiver, ou encore dans l'Armée rouge et la Tchéka. Pourtant, les
pays baltes échappent au régime soviétique au cours de la guerre
[71].
Les dirigeants d'une République montagnarde fondée pendant la guerre civile. La Russie se décompose en dizaines de gouvernements plus ou moins éphémères, tandis que d'innombrables communes paysannes reviennent à l'
autarcie.
Nombreux dans tous les partis et mouvements révolutionnaires, les
Juifs sont abusivement assimilés aux bolcheviks par la contre-révolution. Les
armées blanches ou l'armée Petlioura ponctuent leurs avancées de
pogroms antisémites systématiques et à grande échelle, d'une violence meurtrière alors sans précédent dans l'histoire européenne. Les victimes s'élèvent à près de 150 000 morts, auxquels il faut ajouter de nombreux viols, vols et vandalismes. Quant aux bolcheviks, ils mettent le
sionisme et le
bundisme hors-la-loi.
Les Blancs refusent toute concession aux minorités et combattent les armées nationales aussi bien que les troupes bolcheviks. En
1920-
1922, de son côté, l'
Armée rouge envahit l'
Asie centrale, l'
Arménie, la
Géorgie, ou encore la
Mongolie, et réintègre de force ces pays dans l'orbite russo-soviétique. La
République populaire mongole, satellite de l'URSS, est proclamée en 1924. Les
Cosaques, qui ont constitué d'emblée le fer de lance de l'antibolchevisme, sont déportés en bloc, leurs privilèges supprimés.
En
Ukraine, l'Armée rouge s'est aussi retournée contre ses anciens alliés, les
anarchistes de l'armée
Makhno : à partir de fin 1920, elle attaque brutalement l'expérience inédite de la
Makhnovchina. Cet authentique mouvement paysan de masse avait réussi à se doter d'une armée insurrectionnelle capable de tenir tête pendant trois ans à la fois aux austro-allemands, aux Blancs de
Denikine et
Wrangel, à l'armée de la
République populaire ukrainienne dirigée par
Petlioura et à l'Armée rouge.
Interventions étrangères et guerre russo-polonaise[
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Article détaillé :
Guerre russo-polonaise de 1920.
Ulcérées du
traité de Brest-Litovsk, les armées occidentales et japonaise interviennent d'abord pour empêcher la disparition totale du front oriental (printemps-été 1918). Ce n'est qu'après la défaite de l'Allemagne que leur intervention prend un tour nettement hostile à la révolution et au régime bolchevique, et qu'elle appuie et arme les
Blancs par peur de la contagion bolchevique. De 1918 à 1920, la Russie rouge est aussi soumise à un
embargo drastique par les puissances capitalistes. Cependant, les défaites des Blancs et la sympathie des couches populaires de leur pays à l'égard de la Révolution russe obligent les grandes puissances à abandonner la partie. Ainsi la mutinerie de la flotte française en Mer Noire, conduite par
André Marty et
Charles Tillon, contribue en mars 1919 à faire renoncer le gouvernement français. Selon l'historien Orlando Figes, « la promesse d’aide alliée n’était que paroles en l’air. L’engagement des puissances occidentales ne donna jamais grand-chose d’un point de vue matériel et souffrit toujours d’un manque de dessein bien clair »
[72].
En 1920, le tout jeune État polonais envahit la Russie pour repousser ses frontières au-delà de la
ligne Curzon. La contre-attaque victorieuse de l'
Armée rouge remplit d'espoir les bolcheviks : la prise de Varsovie ouvrirait la route de Berlin et permettrait d'exporter la révolution par les armes. Mais le 15 août 1920, le «
miracle de la Vistule » permet au général
Pilsudski de repousser l'invasion. Voyant l'Armée rouge comme une armée d'abord russe et non révolutionnaire, les ouvriers polonais n'ont apporté aucun soutien à celle-ci.
Terreur blanche contre terreur rouge[
modifier]
Articles détaillés :
Terreur rouge (Russie) et
Terreur blanche (Russie).
La Russie tsariste avait la tradition de violence sociale et politique la plus lourde d'Europe, aggravée par la « brutalisation » de la société
[73] pendant la
Grande Guerre. À partir de l'été 1917, l'explosion révolutionnaire, jusque là très peu violente, se traduit chez les paysans révoltés par la mise à mort d'un certain nombre de propriétaires terriens et le pillage de leurs demeures. La guerre civile qui éclate va servir d'exutoire à bien des rancœurs nées de siècles d'oppression sociale, aux peurs des anciennes élites privilégiées, ou aux règlements de compte personnels. Vieux praticiens du
terrorisme individuel depuis le XIXe siècle, des révolutionnaires comme les
SR ne font que réutiliser les mêmes armes contre les Bolcheviks (
Fanny Kaplan, réseau de
Boris Savinkov). Rouges et Blancs rivalisent quant à eux de déclarations incendiaires, et se montrent prêts à la violence radicale.
Les Blancs s'aliènent vite les populations en emprisonnant et en massacrant systématiquement les nationalistes, les démocrates, les Juifs, les syndicalistes, les révolutionnaires même modérés, et bien sûr les Bolcheviks, sans oublier les simples suspects abattus au moindre soupçon. Ils restituent les terres aux anciens propriétaires fonciers et n'hésitent pas à brûler ou fusiller des villages entiers, les paysans étant aussi soumis à des châtiments corporels humiliants. Leurs troupes se déconsidèrent souvent dès leur arrivée à force de
viols et de pillages, tandis que bien des chefs multiplient les actes d'arbitraire et étalent un train de vie fastueux et débauché
[74].
Bolcheviks massacrés par les
légions tchèques à Vladivostok.
L'appareil policier bolchevik, doté de pouvoirs arbitraires très étendus, connaît un énorme développement. Bien que
Trotski ait désiré un procès public de
Nicolas II,
Lénine et une partie du
Politburo décident en secret l'exécution sommaire de la famille impériale. Prétextant l'approche des Blancs, celle-ci a lieu dans la nuit du 17 au 18 juillet 1918 à
Iekaterinbourg. Arrestation, fusillades de masse, prises d'otages et internement en camps deviennent des pratiques banales. La question de savoir si les camps ouverts par la
Tcheka durant la guerre civile préfigurent ou non le Goulag stalinien reste une discussion ouverte.
Article détaillé :
Origines du Goulag.
Selon l'historien britannique George Leggett, environ 140 000 personnes ont péri suite à la terreur rouge
[75]. Mencheviks, anarchistes, SR, libéraux ou démocrates ont autant été pourchassés et mis hors-la-loi par milliers que les Blancs et les nationalistes, ou encore que les
pacifistes tolstoïens, les
sionistes, les
bundistes, etc., ainsi que beaucoup de ceux que leurs origines sociales ou leur marginalité suffisent a rendre suspects. En 1922, le jeune État soviétique organise, contre les chefs
SR, son premier procès-spectacle truqué
[réf. nécessaire]; plusieurs accusés sont condamnés à mort et exécutés, les autres déportés. Le 19 février 1919, la révolutionnaire
Maria Spiridonova, arrétée après l'insurrection des
SR de gauche en juillet, est condamnée pour «
folie » et internée de décembre 1920 à novembre 1921 en centre de cure psychiatrique. Elle écrira toutefois plus tard qu' « à l'époque soviétique, les sommets du pouvoir, les vieux bolcheviques, Lénine y compris, m'ont ménagée et, en m'isolant dans le déroulement de la lutte, toujours de façon très vigoureuse, ont en même temps pris des mesures pour qu'on ne m'humilie jamais. »
[76]L'
Église orthodoxe, qui s'est souvent rangée activement du côté de la réaction (des
popes délateurs peuvent même çà et là être responsables de nombreuses exécutions sommaires
[77]), doit subir des milliers d'arrestations, d'exécutions, de spoliations et de destructions, le but étant à terme l'éradication non seulement de sa puissance antérieure, mais aussi des
croyances religieuses.
Plus généralement, tous les camps en lutte utiliseront, à des degrés divers, les mêmes méthodes de répression : internement des adversaires militaires et politiques dans des camps, prises d'otages (le premier décret des otages est ainsi promulgué non pas par les bolcheviks mais par le général Niessel, commandant de la mission militaire française en Russie
[78]), exécutions sommaires. D'après
Peter Holquist « le jeune État des Soviets et ses adversaires eurent pareillement recours aux outils et aux méthodes qui avaient été élaborées durant la Grande Guerre »
[79]. Nikolai Melkinov, un des principaux membres du gouvernement Denikine, a souligné dans ses Mémoires que l'administration blanche « appliqua [...] dans ses territoires une politique foncièrement soviétique »
[80].
Même le bref
gouvernement socialiste-révolutionnaire de Samara, souvent considéré comme l'un des belligérants les plus modérés, utilisa lui aussi ce type de mesure. À son propos, l'historien britannique
Orlando Figes note : « Si les libertés d'expression et de réunion ainsi que la liberté de la presse furent rétablies, il était difficile de les respecter dans les conditions d'une guerre civile, et les prisons de
Samara furent bientôt pleines de bolcheviks. Ivan Maiski, le ministre menchevik du travail, compta 4 000 détenus politiques. Les doumas et les zemstvos municipaux furent rétablis, et les
soviets, en tant qu'organes de classe, tenus à l'écart de la vie politique »
[81].
Pareillement, les
KD libéraux se résignent généralement à des solutions dictatoriales là où ils subsistent - avec des exceptions, ainsi en
Crimée où ils maintiennent un régime constitutionnel et parlementaire préservant les libertés et ébauchant même une timide réforme agraire
[82].
Par ailleurs, aucune des armées ne tient à laisser derrière elle des éléments suspects ou dangereux. Ainsi, les combattants anarchistes de l'armée
Makhno respectent le plus la population civile et épargnent et libèrent les simples combattants faits prisonniers, mais ils éliminent dans leur retraite bien des officiers, nobles, bourgeois,
koulaks ou popes, des tribunaux populaires spontanés se chargeant aussi de juger et châtier ceux qui se sont compromis dans les tueries de la
Terreur blanche[83].
Violences d'en-bas et violences d'en-haut[
modifier]
Selon
Sabine Dullin, « les organismes de répression créés par les Bolcheviks laissaient une grande part à l'initiative populaire »
[84]. Les Tchekas locales se montrent souvent plus radicales que le centre.
Marc Ferro insiste sur le fait que le petit parti bolchevik n'avait pas les moyens de susciter la violence généralisée que connaît la Russie pendant la guerre civile, et que les léniniens ont souvent revendiqué et assumé des violences populaires spontanées pour donner l'illusion qu'ils contrôlaient la situation, ainsi que pour les canaliser ou les instrumentaliser à leur profit
[85].
De même, du côté de leurs ennemis, le très controversé chef nationaliste ukrainien
Petlioura semble par exemple avoir été débordé par l'antisémitisme viscéral de ses troupes : il aurait laissé se produire les
pogroms, voire tenté de les freiner, plus qu'il ne les a ordonnés (son rôle exact reste très débattu).
En ce qui concerne la terreur blanche, les rôles respectifs de l'idéologie, des violences spontanées et de celles décidées « d'en haut » par les autorités restent fortement discutés. Ainsi selon
Nicolas Werth, « la terreur blanche ne fut jamais érigée en système. Elle fut, presque toujours, le fait de détachements incontrôlés échappant à l'autorité d'un commandement militaire qui tentait, sans succès, de faire office de gouvernement.(...) [Elle] resta le plus souvent une répression policière du niveau d'un service de contre-espionnage militaire »
[86]. D'autres historiens considèrent au contraire que l'idéologie – notamment l'assimilation des communistes aux juifs et le fantasme d'un complot « judéo-bolchevique » – tient une place importante dans le processus de la terreur dirigé par le haut
[87]. Selon l'historien américain
Peter Holquist, « S'il est vrai que les mouvements antisoviétiques éprouvèrent moins le besoin de justifier leurs actions, il est néanmoins tout à fait clair que leurs violences, loin d'être arbitraires ou fortuites, étaient au contraire calculées. [...] Les prisonniers de guerre étaient triés par les chefs blancs, qui mettaient à part ceux qu'ils considéraient comme indésirables et irrécupérables (les Juifs, les Baltes, les Chinois, les communistes) et les faisaient ensuite exécuter tous ensemble. »
[88].
Peut-être plus encore que les bolcheviques, les généraux blancs ont été dépassés par la violence de leurs partisans sur des territoires vastes ou leur autorité était limité. Le général
Wrangel décrit dans ses mémoires l'anarchie qui règnait sur l'immense territoire contrôlé par
Dénikine quand il en prit la tête en mars 1920 : « Le pays était dirigé par toute une série de petits satrapes, à commencer par les gouverneurs pour finir par n'importe quel gradé de l'armée [...] l'indiscipline des troupes, la débauche et l'arbitraire régnant à l'arrière n'étaient un secret pour personne [...] L'armée, mal ravitaillée, se nourrissait exclusivement sur le dos de la population, ainsi grevée d'un fardeau insupportable. »
[89]Cependant, il est incontestable que les hautes autorités blanches ont aussi choisi le recours à la terreur. La « conférence spéciale » présidée par le général Dénikine prend ainsi en mars 1919 la décision de condamner à mort « toute personne ayant contribué au pouvoir du Conseil des commissaires du peuple ». L'Osvag, le service de propagande du gouvernement de Dénikine, fait courir de nombreuses rumeurs pendant la guerre sur l'existence de complots juifs
[90]. En
Hongrie, après la chute de la
République des conseils en août
1919, des unités paramilitaires faisant partie des troupes l'amiral
Miklós Horthy déclenchent une
terreur blanche : le nombre de victimes de la répression en Hongrie est estimé à cinq et six mille victimes, soit dix fois plus que celles de la
terreur rouge hongroise[91] ou mille cinq cent victimes, bien qu'une estimation basse les réduise à quelques centaines
[92]. Le général
Ungern-Sternberg, surnommé le « baron sanglant », fut sans doute celui qui alla le plus loin dans la terreur. Dans son fameux « ordre numéro 15
[93] », adressée à ses armées en mars
1921, l'article 9 commande « d'exterminer les commissaires, les communistes et les juifs avec leurs familles
[94]. »
À côté des différents camps, de nombreux chefs de guerre et aventuriers profitent de l'effondrement de l'autorité en Russie pour piller, massacrer et s'autoproclamer dirigeants de territoires plus ou moins vastes. D'autres s'engagent dans les armées régulières par opportunisme. L'ataman Grigoriev constitue ainsi une bande formée de soldats, de déclassés et de mercenaires qui se met successivement au service de
Simon Petlioura, de l'Armée rouge et des Blancs, sans renoncer à aucun moment aux massacres et aux pillages. Grigoriev finira abattu par
Makhno, auquel il s'était brièvement allié.
Après la défaite des Blancs, les soulèvements paysans antibolcheviks atteignent leurs apogées. De nombreux collecteurs de céréales sont assassinés, les bolcheviks et leurs relais pourchassés et parfois suppliciés
[95]. La riposte de l'Armée rouge est impitoyable : des centaines de villages déportés en intégralité, des milliers d'insurgés fusillés, les femmes et les enfants des partisans pris en otage et parfois tués, l'
arme chimique utilisée par
Toukhatchevski contre les révoltés de Tambov
[96].
Après la victoire définitive du régime, la terreur s'atténue largement, mais l'appareil policier reste intact.
Victoire et crise du « communisme de guerre »[
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Discours de
Lénine à
Moscou, 5 mai 1920.
Articles détaillés :
Communisme de guerre et
Famine soviétique de 1921-1922.
La guerre radicalise spectaculairement le régime. Pour mener la
guerre totale contre les forces hostiles, le gouvernement de Lénine procède à la
nationalisation quasi-intégrale du commerce, des banques, de l'industrie et même de l'artisanat. Les logements des classes aisées sont collectivisés : les appartements collectifs entrent ainsi dans la vie des Russes. Alors que la monnaie s'effondre et que le pays vit à l'heure du
troc et des salaires versés en nature, le régime instaure la gratuité des logements, des transports, de l'eau, de l'électricité et des
services publics, tous pris en main par le Parti-État. Certains bolcheviks rêvent même dès lors d'abolir l'
argent, ou du moins de limiter drastiquement son usage. D'abord improvisé sous le feu des circonstances, le «
communisme de guerre » (terme créé a posteriori, apparu après la fin de la
guerre civile) paraît alors un moyen de faire passer directement la Russie au
socialisme.
Le pouvoir restaure aussi un puissant
dirigisme sur l'économie et sur les ouvriers. Pour ce faire, il n'hésite pas à rétablir une discipline de fer dans les usines ou à faire réapparaître des pratiques honnies comme le salaire aux pièces, le livret de travail, le
lock-out, le retrait des cartes de ravitaillement, l'arrestation et la déportation des meneurs de grèves. Des centaines de grévistes sont même fusillés. Les syndicats sont épurés, bolchevisés et transformés en courroie de transmission, les coopératives absorbées, les soviets transformés en coquilles vides. En 1920,
Trotski suscite une vaste controverse en proposant la « militarisation » du travail. Dans les campagnes, des détachements armés procèdent violemment aux réquisitions forcées de céréales pour nourrir les villes ainsi que l'Armée rouge.
Le pouvoir mène aussi un énorme effort d'
alphabétisation, d'éducation et de
propagande à destination des soldats et des masses populaires. Il encourage l'effervescence artistique et met les créateurs des
avant-gardes au service de la révolution par une vaste production d'œuvres et d'affiches qui aident le ralliement des masses aux bolcheviks
[97].
Cette politique sauve le régime, mais contribue à l'énorme mécontentement populaire et à l'effondrement radical de la production, de la monnaie et du niveau de vie. L'économie est ruinée, le réseau de transports disloqué. Le
marché noir et le
troc fleurissent
[98]. L'inégalité institutionnelle du rationnement au profit des soldats et des bureaucrates suscite les récriminations populaires. Les villes se dépeuplent, beaucoup d'ouvriers et de citadins affamés revenant à la terre. C'est ainsi que Moscou et Petrograd se vident de moitié, tandis que la
classe ouvrière se décompose : elle compte moins d'un million d'actifs en 1921, contre plus de trois millions en 1917.
En
1921-
1922, une
famine doublée d'une très grave épidémie de
typhus fauche plusieurs millions de vies dans les campagnes russes.
La révolte de Kronstadt et l'instauration de la NEP (mars 1921)[
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Article détaillé :
Révolte de Kronstadt.
Écœurés par le monopole du pouvoir acquis par le
parti bolchevique, ainsi que par la violence et la répression déployés dans les campagnes ou contre les ouvriers en grève, les marins de
Kronstadt se révoltent en mars 1921 et exigent le retour au pouvoir des soviets, des élections libres, la liberté du marché intérieur, la fin de la police politique. En pratique l'insurrection consista en la dissolution du soviet de Cronstadt et en la désignation d'un « comité révolutionnaire provisoire » à sa place
[99]. Leur soulèvement est écrasé par Trotski et
Toukhatchevski.
Au même moment, le pouvoir met les
mencheviks hors-la-loi, réprime les dernières grandes vagues de protestations ouvrières, et entame une violente campagne de « pacification » contre les paysans insurgés. Le Xe congrès du Parti, tenu au même moment que l'insurrection de Kronstadt, abolit aussi le droit de tendance au sein du Parti par l'instauration du «
centralisme démocratique ».
Mais devant l'impasse du «
communisme de guerre » et l'effondrement de l'économie,
Lénine décide un retour limité et provisoire au
capitalisme de marché : la
Nouvelle politique économique (NEP) est adoptée au cours du même congrès. Cette libéralisation économique - qui ne se double d'aucune libéralisation politique - va permettre de redresser l'économie.
Conséquences[
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Conséquences culturelles[
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Libération des mœurs et émancipation de la femme[
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Après la
guerre civile, un changement très important en matière de mœurs sexuelles a lieu. La critique
marxiste de la famille bourgeoise avait déjà conduit les bolcheviks à modifier la législation concernant le
divorce, le
mariage et l’
interruption volontaire de grossesse[100]. En
1922, les pratiques homosexuelles sont à leur tour dépénalisées
[101]. Tout au long des années 1920, le désir d’accéder à une
sexualité plus libre déclenche un mouvement social qualifié par
Wilhelm Reich de «
révolution sexuelle ». Imposé par la base, il n’est pas suffisamment soutenu par les hauts responsables du régime, et perd progressivement en importance
[102].
Plus généralement le pouvoir bolchevique, en particulier sous l'impulsion d'
Alexandra Kollontai, prendra d'importantes mesures pour améliorer le statut social de la femme. Outre les législations en matière de mœurs, une série de décrets reconnaissent dès fin 1917 le droit des femmes à la journée de 8 heures, celui de négocier le montant des salaires, la préservation de l'emploi en cas de grossesse, des possibilités d'assurer des soins à leurs enfants pendant les heures de travail, ainsi que des droits politiques égaux à ceux des hommes. Le travail des femmes est encouragé, à la fois dans une perspective émancipatrice (le régime déclare « qu'enchaînée au foyer, la femme ne pouvait pas être l'égale de l'homme ») et pour combler le déficit de main d'œuvre provoqué par la guerre et les famines
[103].
La lutte contre l'analphabétisme et l'accès des couches populaires à la culture[
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Étant donné que la
RSFSR (République socialiste fédérative soviétique de Russie), à l'issue de la guerre civile, regorgeait d'orphelins par dizaines de milliers, des chtcharachkas (communautés) furent mises en place, où des enfants de tous âges encadrés d'éducateurs volontaires furent éduqués dans l'esprit socialiste. À la même époque, les grades sont abolis dans l'armée, ainsi que les règles académiques dans l'art. Grammaire et orthographe ont aussi été simplifiés, et la lutte idéologique contre les préjugés et les convictions d'origine religieuse battit son plein.
Le régime consacre rapidement un effort important en matière d'instruction publique. Sous la direction d'
Anatoli Lounatcharski, le commissariat du peuple à l'instruction publie un décret déclarant l'ouverture d'un « front contre l'analphabétisme » le
10 décembre 1919. Dans le compte rendu critique qu'il donne alors de son voyage en Union soviétique, le maire de
Boulogne André Morizet affirme qu'« on peut penser tout ce qu'on voudra des chefs du bolchevisme. On peut critiquer leurs méthodes, condamner leurs actes en gros ou en détail [...]. Mais il y a un point sur lequel il me paraît impossible qu'on n'approuve pas unanimement leurs efforts, qu'on n'apprécie pas sans réserve les résultats déjà obtenus : c'est en matière d'instruction publique »
[104].
Dès le début de l'année
1918, le triple principe de laïcité, de gratuité et d'obligation d'éducation est posé par le régime. De 38387 en 1917, le nombre d'écoles passe à 52 274 en 1918 puis 62 238 en 1919. De même le budget de l'éducation passe de 195 millions de roubles en
1916 à 2 914 millions en
1918[105]. Des alphabets nationaux sont créés pour les nationalités privées d'écriture, tandis que des commissions d'instructeurs sont créées
[106]. Ces chiffres impressionnants doivent cependant être nuancés par les difficultés auxquelles se trouve confronté le système d'éducation publique en raison des conséquences de la guerre civile et du faible développement économique des républiques qui forment l'Union soviétique : manque chronique de matériel scolaire et de professeurs formés, qui expliquent la médiocrité de l'instruction dans les premières années du régime.
La révolution et l'Art[
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Les conséquences de la révolution se font également sentir dans le domaine de l'art
[107]. Dès la fin du
XIXe siècle, la Russie s'était ouverte aux nouveaux courants artistiques qui se développaient en Europe : l'
impressionnisme (avec des peintres comme
Leonid Pasternak et
Constantin Kousnetzoff), le
fauvisme (avec
Michel Larionov ou
Nathalie Gontcharova) et le
cubisme (
Vladimir Bourliouk). D'autres courants émergent en Russie, comme le
suprématisme, qui prône la suprématie de la forme pure dans la peinture. En poésie, le
mouvement acméiste est initié par
Nikolaï Goumilev en
1911. La création de l'opéra
futuriste Victoire sur le soleil, d'
Alexeï Kroutchenykh et
Vélimir Khlebnikov, se déroule le
3 décembre 1913 à Saint-Pétersbourg.
Après la révolution d'Octobre, si les bolcheviques interdisent les œuvres ouvertement hostiles au régime, le nouveau pouvoir ne donne cependant pas de directives en matière d'art — Trotsky déclarant que « L'art n'est pas un domaine où le Parti est appelé à commander. »
[108] — et encourage la floraison des courants d'avant-garde. Selon l'historien de l'art
Jean-Michel Palmier, « Il y a peu de pays qui ont consacré autant d'argent aux Beaux-Arts, au théâtre, à la littérature, à la peinture que l'URSS dans la période la plus difficile qu'elle a connue. Alors que la famine régnait, que la contre-révolution levait la tête sur tous les fronts — intérieur et extérieur — la jeune république des soviets dépensait des sommes énormes pour développer l'art — et pas seulement comme instrument de propagande. »
[109]Dès les premiers jours qui suivent la révolution d'Octobre, le gouvernement bolchevique met en œuvre une série de mesures visant à assurer la préservation, l'inventaire et la nationalisation du patrimoine culturel national
[110]. La collection privée du commerçant et mécène Sergueï Chtchoukine est réquisitionnée pour ouvrir le « premier musée de l'art occidental ».
Vassily Kandinsky est nommé directeur du Musée de la culture artistique, créé en 1919, et ouvre une vingtaine de musées en province. Ici encore, la pénurie limite les ambitions du régime. Par manque de crédits pour la reconstruction, la plupart des projets d'architectures novateurs ne peuvent être achevés
[111].
Le nouvel environnement politique et culturel favorise l'éclosion de courants nouveaux et de débats d'écoles passionnés. Selon
Anatole Kopp, « À l'intérieur de cette nouvelle vision, il est possible de distinguer deux orientations, en fait deux avant-gardes : une avant-garde essentiellement formelle, qui, malgré le recours à des formes d'expressions inédites, n'assignera pas à l'art une mission nouvelle, et une avant-garde socialement et politiquement consciente, qui tentera, à la lumière du marxisme, de mettre les techniques artistiques au service de la transformation de l'humanité. »
[112] Les membres de ce dernier courant, partisans de l'accouchement d'une « culture prolétarienne » nouvelle, se regroupent au sein du
Proletkoult qui tient son premier Congrès en
1920. Ce groupe mène rapidement une campagne agressive contre les « compagnons de route » du parti et tout ce qui s'écarte de « l'art prolétarien »
[113], mais n'obtient pas de mesures politiques de l'appareil d'État
[114]. À la fin des
années 1920,
Staline s'appuiera pourtant sur les théories du Proletkoult — parfois au corps défendant de certains de ses membres — pour réprimer les artistes et imposer la ligne du
réalisme socialiste.
Conséquences économiques et sociales[
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Des Russes partant pour l'
exil sur un
wagon plat.
La Révolution et l'établissement du nouveau régime entraînent de profondes transformations sociales dans les pays rassemblés au sein de l'
URSS. Les vieilles structures
féodales de la
Russie tsariste se désagrègent sans laisser place à une
économie de marché, générant l'élaboration de nouveaux rapports sociaux qui feront l'objet d'interprétations diverses.
Selon
Nicolas Werth, 13 millions de Russes ont péri de mort violente entre
1914 et
1921 : 2,5 millions par la
Grande Guerre, autant par la
guerre civile et les massacres des terreurs blanche, rouge ou verte, 5 millions par la famine et plus de 2,5 millions par l'épidémie de
typhus[115]. Selon le démographe russe A.G. Volkov, la population de la Russie a diminué de 7 millions entre
1918 et
1922, chiffre auquel il faut retirer les émigrés (estimés à 2 millions par le démographe) et la différence de 400 000 entre les retours et sorties de prisonniers et de fuyards, pour aboutir à un chiffre de 4 500 000 morts pendant la guerre civile, soit un peu plus de 3 % de la population
[116]. La majorité des victimes a péri hors des champs de bataille, faute de soins adéquats ou de nourriture. « La société russe émerge de la guerre plus archaïque, plus militarisée, plus paysanne »
[115]. »
Les anciennes élites (
clergé,
noblesse et
bourgeoisie, cette dernière déjà plus fragile qu'en Occident, une partie des
intellectuels) ont disparu ou se sont exilées, à moins de s'être ralliées pour certains de leurs membres. Dès l'ère
léninienne, ces « gens du passé » et leurs enfants sont surveillés et discriminés dans l'accès au logement, au travail ou à l'université, ou encore privés d'un
droit de vote certes symbolique. Beaucoup seront ultérieurement liquidés pendant les
Grandes Purges staliniennes. Environ deux millions de «
Russes blancs » (pas tous monarchistes ni russes en réalité) se sont exilés de la Russie révolutionnaire, ou en ont été bannis. En
1922, un décret leur ôte en bloc la nationalité russe. C'est pour ces premiers
apatrides de masse que la
Société des Nations doit inventer le
passeport Nansen.
Dans les campagnes, le Parti reste sous-représenté. Des dispositions constitutionnelles donnent au vote ouvrier et urbain un poids ouvertement supérieur au vote paysan. La classe paysanne est l'une des seules à avoir gardé une autonomie assez forte par rapport à l'État très autoritaire qui s'est forgé pendant la guerre civile. Les paysans ont obtenu le partage des terres qu'ils attendaient depuis des générations (bien qu'en raison de leur fort accroissement démographique, ils n'y aient gagné en moyenne que 2 à 3 hectares de terre chacun). Mais beaucoup peuvent constater que « la terre ne se mange pas » (Lénine) : les millions de petites exploitations émiettées sont peu rentables et impossibles à moderniser. Bêtes noires des bolcheviks pendant la guerre civile, les
koulaks (paysans supposés riches, en fait juste un peu plus aisés et dynamiques que la moyenne) tirent davantage leur épingle du jeu, et bénéficieront de l'avènement de la
NEP - avant de subir le choc de la
dékoulakisation à partir de
1930.
Beaucoup d'hommes du peuple, ex-ouvriers, employés ou paysans, ont bénéficié de la croissance du Parti-État et de sa
bureaucratie (dont le développement notable
[117] angoisse déjà Lénine et Trotsky). Entrant dans ceux-ci ou dans l'Armée rouge, ils ont acquis des positions de pouvoir et des privilèges inespérés pour eux sous l'Ancien Régime. La bureaucratie devient aussi le refuge privilégié de la
petite-bourgeoisie théoriquement déchue
[118]. Cette «
plébéianisation du Parti » (Marc Ferro)
[119] servira de base sociale à l'avènement ultérieur de
Joseph Staline, nommé secrétaire général du
PCUS le
3 avril 1922.
Conséquences politiques et diplomatiques[
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Le premier résultat de cette révolution fut le renversement du régime tsariste, laissant le champ libre pour la prise de pouvoir par les bolcheviks. Selon
Nicolas Werth, « une révolution populaire et plébéienne profondément antiautoritaire et antiétatique [a] amené au pouvoir le groupe le plus dictatorial et le plus étatiste ».
Selon plusieurs historiens, les bases de l’
État policier léniniste auraient été jetées dès avant l'éclatement de la
guerre civile en août 1918, la répression s'abattant autant sinon plus sur les autres partis révolutionnaires et sur certains mouvements populaires que sur les partis « bourgeois » ou les forces monarchistes
[120]. Ce point de vue est rejeté par certains historiens, à l'instar d'
Arno J. Mayer qui, dans un ouvrage récent, soutient que la politique répressive du régime soviétique a essentiellement été le produit de pressions internes (la violence de la
contre-révolution) aussi bien qu'externes (la réaction des puissances internationales face à la prise du pouvoir par les bolcheviks)
[121].
Pour Marc Ferro, la lutte pour le pouvoir n'a pas simplement opposé les partis entre eux. En fait, au moment de la
révolution de Février, les partis politiques, les syndicats, les coopératives et les
soviets sont les formes d'organisation rivales en concurrence pour représenter et diriger la
société civile. Les soviets et les partis se sont entendus pour se subordonner ou éliminer les syndicats, les comités d'usine ou les coopératives. Puis dès avant
Octobre, les partis se sont accordés à noyauter et instrumentaliser les soviets. Il ne restait plus enfin à l'un des partis qu'à éliminer les autres
[122].
Un autre résultat immédiat est la signature du
traité de Brest-Litovsk, et le démantèlement partiel de l'ex-
empire russe. Ensuite vint la création, en
1922, de l’
URSS – l’« Union des républiques socialistes soviétiques ».
La guerre civile allait laisser le pays épuisé, ruiné pour de nombreuses années, et sous la coupe d'un parti unique lui-même de plus en plus monolithique (suppression du droit de tendance en mars 1921), dont la police et l'armée ont éliminé toutes les forces d'opposition organisées. Tout est à reconstruire.
De plus, la révolution attendue par les bolcheviks dans les pays capitalistes n'a pas eu lieu. En
Allemagne même, les masses populaires n'ont pas majoritairement soutenu la tentative
spartakiste de
Rosa Luxemburg, et la répression a suivi. En
Hongrie,
Bela Kun s'est aliéné d'emblée les paysans, et n'a pu tenir que 133 jours au pouvoir avant d'en être délogé par une invasion roumaine. La vague révolutionnaire reflue dès 1920 en
Italie, ouvrant la voie au succès du
fascisme. Des pays industrialisés aussi importants que les
États-Unis, le
Royaume-Uni et la
France ne connaissent que des vagues de grèves et de manifestations, parfois violentes, mais jamais en mesure d'ébranler la société et le gouvernement.
La création à Moscou de la
IIIe Internationale (
Komintern), en 1919, est une conséquence directe d'Octobre. Elle sera dissoute par
Staline en 1943 sans avoir jamais réussi à conduire une révolution victorieuse. Dans l'immédiat, rupture et scissions entre partis
sociaux-démocrates et partis
communistes, entre 1919 et 1921, ont laissé le mouvement ouvrier et syndical durablement divisé et affaibli face aux forces conservatrices et fascistes.
La Russie elle-même reste amoindrie et isolée, cernée par un «
cordon sanitaire » de petits États (pays baltes, Pologne, etc.). Le nouveau régime doit conquérir lentement sa reconnaissance internationale. Il doit attendre
1922 pour être reconnu par l'Allemagne (devenue son alliée de fait par les accords de Rappallo), puis en
1923 par la
Chine alliée de
Sun Yat-sen, en
1924 par la Grande-Bretagne, la France et l'
Italie fasciste, en
1933 par les États-Unis, avant d'entrer tardivement à la
SDN en
1934.
Le régime instauré par les bolcheviks a souvent été qualifié de « communiste », même si pour
Marx le communisme correspond à une société qui répond à la devise « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins »
[123]. En 1918, cependant, Lénine ne répugnait pas à faire changer le nom du parti en parti communiste, ni à fonder en 1919 l'
Internationale communiste (il s’agissait de choisir un nom se démarquant de la
social-démocratie, qui avait été majoritairement favorable à la guerre).
Perceptions et réceptions à l'étranger[
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La
révolution de février 1917 a été lue par les Occidentaux en fonction de la
Grande Guerre en cours, et en général sans grande connaissance des réalités russes.
Les démocraties de l'
Entente (France et Grande-Bretagne surtout) sont soulagées d'être débarrassées de l'allié encombrant qu'était
Nicolas II, le maintien de l'autocratie tsariste les mettant en porte-à-faux avec leur propre propagande sur la « guerre du droit ». Ni la presse (soumise à la censure ou à l'
autocensure) ni les opinions ne prennent la mesure du rejet croissant et massif de la guerre dans l'opinion russe. La révolution est interprétée au contraire comme une volonté populaire de mener la guerre jusqu'au bout avec un gouvernement plus compétent
[124].
On ne prend pas davantage conscience de l'ampleur de la révolte sociale. L'historien monarchiste
Jacques Bainville prétend ainsi dans
L'Action française : « Il faut que la rénovation russe ne devienne pas ce que jusqu'ici elle ne veut pas être, une révolution
[125] ». Le socialiste chauvin
Gustave Hervé écrit : « Qu'est-ce que
Verdun, qu'est-ce que la
Marne même à côté de l'incommensurable victoire morale que viennent de remporter les Alliés à Petrograd]]
[126] ! »
Pourtant, dès l'été 1917, la
mutinerie des soldats russes du camp de La Courtine dans le
Limousin doit être mâtée à coups de canon et au prix de nombreux morts. Des grèves importantes et quasi-insurrectionnelles se réclament ouvertement de l'exemple des soviets de travailleurs de Russie en avril 1917 à
Leipzig, en mai-juin à
Leeds, en août à
Turin. En Italie ou même en Espagne non-belligérante, quelques « vive Lénine » apparaissent dès 1917 sur certains murs, plus par rejet symbolique de la guerre et des conditions sociales que par une connaissance réelle du programme bolchevique
[127]. Toutefois, patriotisme oblige, aucune tentative révolutionnaire n'a lieu avant la fin de la
Grande Guerre.
Des délégations officielles se rendent en Russie au temps du gouvernement provisoire et découvrent l'ampleur de la révolution. Elles en reviennent parfois ébranlées, ainsi les socialistes français
Albert Thomas et
Marcel Cachin, le ministre travailliste anglais Arthur Anderson ou la féministe britannique
Emmeline Pankhurst. Une poignée d'étrangers présents en Russie adhère activement à la révolution d'Octobre, ainsi son futur historien, le journaliste américain
John Reed, ou encore le philosophe chrétien français
Pierre Pascal. En mars 1919,
André Marty et
Charles Tillon mènent la mutinerie de la flotte française en mer Noire contre l'intervention. Certains prisonniers de guerre des
Empires centraux, convertis au bolchevisme pendant leur captivité en Russie, se sont faits les propagateurs de la révolution à leur retour au pays : le
Yougoslave Josip Broz, futur maréchal
Tito, n'est que l'exemple le plus célèbre.
L'Allemagne de
Guillaume II a laissé les divers révolutionnaires exilés en
Suisse, dont Lénine, traverser son territoire pour rentrer en Russie, escomptant que le pacifisme contribuera au retrait de la Russie du conflit. Dès l'époque circule en Russie et en Occident l'idée d'un
Lénine « agent allemand », ou encore la rumeur que les « maximalistes » (traduction inexacte répandue du terme
bolcheviks) sont financés par « l'or allemand ». La
révolution d'Octobre n'est d'abord perçue que comme une péripétie politique après bien d'autres, et ni l'Entente ni les Empires centraux ne croient au début à la durée du nouveau pouvoir. Après le draconien
traité de Brest-Litovsk (contre la ratification duquel vote le
SPD au
Reichstag), le Kaiser fait figure d'allié objectif et paradoxal du régime bolchevique, celui-ci ayant tout intérêt à jouer des divisions « interimpérialistes » et à ne pas s'ajouter un ennemi de plus. L'Entente intervient sur le territoire russe d'abord pour empêcher la disparition du front oriental, le reproche principal fait aux bolcheviks étant leur « trahison » de l'alliance. Après l'
armistice de Rethondes en 1918, c'est la révolution en tant que telle qui est combattue.
Le pacifisme et la crise économique d'après-guerre, ainsi que le refus de voir une révolution écrasée, suscitent de fortes sympathies actives dans les couches populaires d'Europe pour la
révolution d'Octobre - les exactions de la « terreur rouge » étant ignorées, niées, minimisées ou justifiées comme une simple réponse à la terreur blanche.
Caricature antibolchevique parue en
1919 dans le New York Herald.
En France, la révolution russe est lue au prisme de la mémoire toujours très vive de la
Grande Révolution de 1789 : les bolcheviks sont ainsi assimilés aux
Jacobins,
Kerensky à la
Gironde, les Blancs aux
Vendéens, Trotsky à
Lazare Carnot « l'organisateur de la victoire », etc. Un historien sympathisant comme
Albert Mathiez trace dès 1920 l'analogie entre
Robespierre et
Lénine, la terreur rouge et la
Terreur de
1793[128]. Le poète
André Breton n'est pas le seul à lire aussi la révolution russe comme une revanche sur la répression de la
Commune de Paris lorsqu'il note que
1917 renverse
1871. Mais la « grande lueur à l'Est » (titre d'un ouvrage de
Jules Romains) n'est pas aussi bien accueillie par tout le monde. Les
classes moyennes sont ulcérées par la perte des
emprunts russes, que Lénine a cessé de reconnaître dès le début 1918. Et l'
anticommunisme est très fort chez les
socialistes restés fidèles à la « vieille maison » lors du
congrès de Tours de
1920, chez les anarchistes, chez certains intellectuels
humanistes hostiles aux méthodes des Bolcheviks (par exemple
Romain Rolland, ami de
Gorki), et bien sûr dans les droites. Dès 1919, une affiche célèbre stigmatise dans le bolchevik « l'homme au couteau entre les dents ».
Aux
États-Unis, la red scare ou peur des « Rouges » marque les années d'immédiat après-guerre et contribue aux réactions autoritaires, puritaines et xénophobes (les migrants sont perçus comme des porteurs potentiels du « virus » bolchevique) qui marquent les
années 1920. En
Allemagne, en
Hongrie, en
Italie, les forces conservatrices, nationalistes ou
fascistes, parfois alliées pour un temps à des sociaux-démocrates comme
Noske à Berlin, se battent pour réprimer par la violence le « bolchevisme » (un mot d'ailleurs élastique, sous lequel ils finissent par regrouper abusivement tout partisan d'un changement social, voire n'importe quel adversaire). En
1919, la peur et la haine du
bolchevisme et de la
révolution d'Octobre, de ses avatars et de son extension possible jouent un rôle non négligeable dans la formation des idéologies et des mouvements de
Benito Mussolini en Italie et d'
Adolf Hitler en Allemagne.
Dans les pays colonisés, la
révolution d'Octobre a aussi suscité des espoirs importants. Dès 1920, à
Bakou, les bolcheviks convoquent un « congrès des peuples de l'Orient » (1er au 8 septembre) qui tente de faire la jonction entre les nationalismes des colonisés et le mouvement communiste mondial.
Postérité et fin[
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Le délabrement économique et moral consécutif à la
guerre civile va laisser la place à une couche de
bureaucrates, qui au sein même du
parti bolchevique vont réussir à s’imposer à la tête du pays. Pour cela, ils devront déporter puis massacrer tous leurs opposants, « contre-révolutionnaires » comme révolutionnaires. Des milliers de militants communistes, dont la majorité de la « vieille garde » bolchevique, des héros d’Octobre et de la guerre civile, seront ainsi déportés, puis fusillés. Les plus célèbres d’entre eux sont humiliés et discrédités en public lors des
procès de Moscou en
1936-
1938.
Pour asseoir son pouvoir, et aussi pour faire oublier le rôle très limité qu’il a joué dans la
révolution d'Octobre,
Joseph Staline entreprend aussi de liquider, lors de la
Grande Terreur de 1936-1938, toute une génération de militants, de cadres politiques et économiques, de militaires, d’écrivains ou même de policiers qui ont connu l’avant-1917 et fait la révolution puis la guerre civile. Une large partie d’entre eux avait pu faire un temps d’autres choix que les bolcheviks, ou que le
dictateur lui-même. En 1930, la moitié des cadres de l’État et même de la police avaient ainsi servi sous l’ancien régime
[129]. La « génération de 1937 », qui les remplace grâce aux purges, n’a connu que Staline et lui doit tout : c’est cette
nomenklatura sans passé révolutionnaire qui dirigera désormais l’
URSS jusqu’à la veille de sa disparition.
Le régime «
totalitaire » de Staline finira d’étouffer les idéaux de la révolution d’Octobre. Dès le milieu des
années 1930, il rétablit un certain nombre de valeurs honnies au temps de Lénine et Trotsky : exaltation de la famille et de la patrie « socialistes », restauration de titres militaires tels le grade de
maréchal, libre vente de la
vodka par l’État, académisme dans l’art, russification forcée des minorités et « chauvinisme grand-russe »,
antisémitisme officiel de moins en moins voilé… La
Seconde Guerre mondiale parachèvera cette évolution,
l'Internationale cessant par exemple d’être l’hymne soviétique en
1943, et les grades et uniformes de l’Ancien Régime étant spectaculairement rétablis.
Fort peu sensible à l’
internationalisme des premiers dirigeants bolcheviques, Staline abandonne par ailleurs toute idée d’exporter la révolution par le
Komintern. À ses yeux, elle ne doit s’étendre que grâce à l’
Armée rouge, sous strict contrôle de Moscou et comme une extension de l’empire soviétique. C’est ce qui se produit dès 1939 lors des annexions permises par le
Pacte germano-soviétique (qui permet de récupérer les territoires perdus lors de la guerre civile russe), puis après la victoire de 1945.
Tous ces faits seront caractérisés par
Léon Trotsky comme le «
Thermidor » de la Révolution russe (par comparaison avec la réaction qui suivit la chute de
Robespierre pendant la
Révolution française). La comparaison présente toutefois certaines limites. En effet, l’ère stalinienne se marque aussi par un retour, contre les paysans, aux méthodes du «
communisme de guerre ». Et elle coïncide avec un déchaînement de terreur sans précédent, là où le Thermidor français mettait au contraire fin à la Terreur. D’autre part, l’avènement de Staline signifie aussi une relance spectaculaire de la transformation économique en Russie, au point que l’on a pu parler de la « seconde révolution » de l’an
1930 :
nationalisation intégrale des terres,
plan quinquennal sortant brusquement l’URSS de l’arriération. Cela au lourd prix dissimulé de millions de victimes, conséquence de l'ambition totalitaire du pouvoir étatique.
Interprétations[
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Les causes de cette « dégénérescence » sont diversement expliquées. Pour les
anarchistes, elle est due aux principes « autoritaires » du parti bolchevique. Pour d’autres, comme certains
libéraux, elle est inscrite dans les idées mêmes de
Karl Marx. Pour un certain nombre de
marxistes non-bolcheviques,
Lénine a commis l’erreur fatale de vouloir déclencher une révolution ouvrière dans un pays massivement paysan et a surestimé les potentialités révolutionnaires dans les pays occidentaux. Pour des communistes marxistes anti-léninistes, comme les
communistes de conseils, les bolcheviks ont d'emblée mis en place un
capitalisme d'État et ont bafoué les principes communistes et marxistes.
Staline, commissaire bolchevique à
Tsaritsyne à l’été 1918, au début la
guerre civile russe.
Commentant dès l’époque les événements d’Octobre et de la guerre civile, des marxistes comme le théoricien
Karl Kautsky ou la révolutionnaire
Rosa Luxemburg ont fait porter leurs critiques sur la nature du
parti bolchevique et sur son organisation
léniniste (que Trotsky lui-même, en sa période
menchevique, avait dénoncé dès 1904 comme un danger). À leurs yeux, l’assimilation abusive du parti au peuple, son mépris de la démocratie, son culte de la violence l’amènent à faire de nécessité vertu et à transformer la terreur et la dictature imposées par les circonstances en un système permanent. Le pouvoir du Parti sur le
prolétariat se substitue ainsi durablement au pouvoir des soviets et de la classe ouvrière. Ils pointent aussi que son caractère hiérarchisé, centralisé, militarisé et monolithique l’a amené fatalement à concentrer tous ses pouvoirs dictatoriaux entre les mains d’un petit groupe au sommet (le
Politburo, fondé en
1917[130]) - et plus tard, entre les mains d’un seul homme. Cette analyse critique a été reprise dans les années 1930 par un certain nombre d’anciens compagnons de route de la révolution d’Octobre, ainsi en France
Pierre Monatte,
Alfred Rosmer ou encore
Boris Souvarine, pionnier de la critique du
stalinisme[131].
Pour Trotski et les
trotskistes, c’est dans la naissance de la
bureaucratie, ainsi que dans l’isolement de la révolution dans un pays pauvre et peu développé, qu’il faut chercher la cause de la
dictature totalitaire. On peut toutefois souligner que précisément, aucune révolution « marxiste » au XXe siècle n’a jamais éclaté dans un pays riche et industriel, les seuls pays ayant été concernés étaient agraires et en retard de développement (la
Chine, le
Viêt Nam, l’
Éthiopie, le
Mozambique, etc.). Par ailleurs, aucun des régimes se réclamant d’une révolution communiste n’a évité de s’orienter rapidement vers la
dictature policière et bureaucratique - ce qui peut en partie s’expliquer par la satellisation de la plupart des mouvements communistes arrivés au pouvoir par Moscou et à l’influence de Staline et de l’URSS dans ces pays, tant aux plans militaire, qu’économique ou politique.
La
Seconde Guerre mondiale fut suivie par la «
guerre froide », opposant le
Bloc de l'Est à l’Occident (dans ce cas, les
États-Unis surtout) dans une course à l’armement qui n’aboutit jamais à un conflit ouvert direct, avant la fin de l’
URSS en 1991.
Notes et références[
modifier]
↑ « La Première Guerre mondiale aggrave les facteurs de fragilité de la Russie. Les défaites précipitent la désagrégation du régime impérial. », Serge Berstein, Pierre Milza, Histoire du XXe siècle, Tome 1 (1900-1945), p. 88.
↑ Cette expression a été popularisée par l’historien britannique
Eric Hobsbawm dans
L’Âge des extrêmes. Histoire du court XXe siècle, 1914-1991, co-édition Le Monde diplomatique - Éditions Complexe, 1999
↑ Eric Hobsbawm écrit : « la révolution d'Octobre fut universellement reconnue comme un événement qui ébranlait le monde » in
L'Âge des extrêmes, Complexe, 2003, p. 99.
↑ Pour une présentation des débats qui ont traversé la
soviétologie, voir
Nicolas Werth, « Totalitarisme ou révisionnisme ? L’histoire soviétique, une histoire en chantier »,
Communisme, n° 47/48, 1996, p. 57-70 et id., « Le stalinisme au pouvoir. Mise en perspective historiographique »,
Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 69, janvier-mars 2001, p. 125-135.
↑ Marc Ferro, La Révolution de 1917, Aubier, Paris, 1967, p. 36.
↑ René Girault et Marc Ferro, De la Russie à l’URSS. L’histoire de la Russie de 1850 à nos jours, Nathan, 1989.
↑ Marc Ferro, La Révolution de 1917, op. cit., p. 39.
↑ 3 593 dollars par habitant en Russie en 1913, 13 327 aux États-Unis.
↑ Richard Pipes, La Révolution russe, PUF, 1993, p. 71.
↑ Léon Trotski, « Particularités du développement de la Russie », dans Histoire de la révolution russe. 1. Février, Paris, Éditions du Seuil, 1950, pp. 39-52.
↑ François-Xavier Coquin, La Révolution russe, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1974, p. 14.
↑ Pour la décennie des années 1890, Richard Pipes rapporte que « la productivité industrielle russe s’est accrue de 126 %, le double du taux de croissance allemand et le triple de celui des États-Unis ». La Révolution russe, op. cit., p. 72.
↑ Roger Portal, La Russie de 1894 à 1914, Paris, Centre de documentation universitaire, 1966, p. 78.
↑ Jusqu’en 1918, la Russie utilisait le
calendrier julien, qui a 13 jours de retard sur le
calendrier grégorien.
↑ Jean Elleinstein, D’une Russie à l’autre, vie et mort de l’URSS, Éditions Sociales, 1992, 68 p.
↑ Louis Aragon et
André Maurois, Les Deux Géants. Histoire des États-Unis et de l’URSS de 1917 à nos jours. Tome 3 : Histoire de l’URSS de 1917 à 1929. Tome 4 : Histoire de l’URSS De 1929 à nos jours, Paris, Éditions du Pont Royal, 1963, p. 30.
↑ Marc Ferro, La Grande Guerre, 1914-1918, Gallimard, coll. « Idées », Paris, 1969, p. 318.
↑ Richard Pipes estime que « le nombre total des blessés et des morts [de la Révolution de Février] se situait entre 1 300 et 1 450, dont 169 tués ». La Révolution russe, op. cit., p. 284.
↑ Michel Heller et Aleksandr Nekrich, L’Utopie au pouvoir. Histoire de l’URSS de 1917 à nos jours, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l’esprit », Paris, 1985, p. 22.
↑ Marc Ferro, La Révolution d’Octobre, L’Humanité en marche, Éd. du Burrin, 1972, p. 49.
↑ Marc Ferro, La Révolution de 1917, Albin Michel, 1997, p. 94-95.
↑ Léo Figuères, Octobre 17. La révolution en débat, éditions Le Temps des cerises, Paris, 1995, p. 253.
↑ Cette thèse trouve son origine dans le discours des mencheviks russes et dans les analyses du théoricien marxiste allemand
Karl Kautsky.
Rosa Luxemburg, La Révolution russe, Éditions de l’Aube, coll. « l’Aube poche essai », 2007, p. 8-9.
↑ Marc Ferro, « Pourquoi Février ? Pourquoi Octobre? », in La Révolution d’Octobre et le Mouvement ouvrier européen, EDI, Paris, 1967, p. 17.
↑ « Les thèses d’avril de Lénine et la chute de Milioukov » [
archive], encyclopédie
Encarta.
↑ Marc Ferro (avec
Jean Ellenstein), La Révolution d’Octobre, L’Humanité en Marche, Éd. des Burins, 1972.
↑ John Keegan, La Grande Guerre, Perrin, 1989.
↑ John Keegan, La Grande Guerre, op. cit., et
Marc Ferro, Nazisme et communisme. Deux régimes dans le siècle, Hachette, coll. « Pluriel », 1999, p. 16. Cependant, selon
Robert O. Paxton, « si le général Kornilov avait réussi dans son entreprise, l'issue la plus probable aurait été une simple dictature militaire, car la démocratie était en Russie un concept encore trop neuf pour fournir la mobilisation de masse contre-révolutionnaire caractéristique d'une réaction fasciste. », Le fascisme en action, Seuil, p. 196.
↑ Jean-Jacques Marie, La Guerre civile russe, p. 17.
↑ « Partage noir » est le nom d'une organisation contestataire populiste anti-tsariste née en 1879, au moment de la scission avec l'organisation terroriste
Narodnaïa Volia.
↑ Léon Trotsky,
« Marée montante » [
archive], dans son Histoire de la révolution russe.
↑ Michel Heller et Aleksandr Nekrich, L’Utopie au pouvoir, op. cit., p. 25. Marc Ferro, d’après le compte rendu des débats, précise qu’en « revendiquant le pouvoir pour son parti, très minoritaire, Lénine ne provoqua pas l’indignation des députés mais un immense éclat de rire » ». La Révolution de 1917, op. cit., p. 473.
↑ 1917, documentaire diffusé sur Arte le 7 novembre 2007.
↑ Richard Pipes, La Révolution russe, op. cit., p. 457.
↑ Richard Pipes, La Révolution russe, op. cit., p. 463-464.
↑ Marc Ferro ajoute qu'il ne faudrait pas « accorder trop de foi ou de signification à ces chiffres ». La Révolution de 1917, op. cit., p. 849.
↑ Jean-Jacques Marie, Lénine, Paris, Balland, 2004, p. 215.
↑ Jean-Jacques Marie, Lénine, p. 217.
↑ Cité par Marc Ferro, La Révolution de 1917, op. cit., p. 851.
↑ Lénine, Œuvres complètes, tome 35, p. 36.
↑ Voir
Michael Löwy,
« La révolution d’Octobre et la question nationale : Lénine contre Staline » [
archive], Critique communiste, n° 150, automne 1997.
↑ « Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat. » Engels, préface à La Guerre civile en France de
Karl Marx, cité par
Kostas Papaïoannou dans Marx et les marxistes, Flammarion, 1972, p. 223.
↑ Marc Ferro, La Révolution de 1917, op. cit., p. 307.
↑ Titre d’un chapitre d’
Hélène Carrère d'Encausse, Lénine, Fayard, 1997.
↑ Alessandro Mongili, Staline et le stalinisme, Casterman, 1995.
↑ Léon Trotsky,
Ma vie, Gallimard, coll. « Folio », Paris, 2004, p. 403-408.
↑ Rosa Luxemburg, La Révolution russe, op. cit., p. 15.
↑ Marc Ferro (avec
Jean Elleinstein), La Révolution d’Octobre, L’Humanité en Marche, Éd. du Burin, 1972, p. 95.
↑ Nicolas Werth, « Paradoxes et malentendus d’Octobre », in
Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 1997, p. 49-51.
↑ Nicolas Werth, L’URSS de Lénine à Staline, coll. « Que sais-je ? », 1998, p. 17.
↑ Nicolas Werth commente : « Étant donné le retard économique de la Russie, le passage économique au communisme ne se fera pas, contrairement aux prévisions de Marx, par le "dépérissement" de l’État, mais au contraire, par le contrôle étatique sur toutes les sphères de l’économie. » Histoire de l’Union soviétique de Lénine à Staline, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1998, p. 17. Il ajoute que les Bolcheviks n’avaient pas de programme économique précis, s’inspirant dès lors de l’exemple allemand, et que dans l’état où ils trouvent l’industrie, l’autogestion eût été catastrophique.
↑ Boris Souvarine, Staline. Aperçu historique du bolchevisme, Plon, 1935, sur les premiers jours du régime.
↑ Nicolas Werth, Histoire de l’Union soviétique de Lénine à Staline (1917-1953), op. cit., p. 18.
↑ Jean-Jacques Marie, La Guerre civile russe, 1917-1922, p. 19.
↑ Novaïa Jizn', 7 décembre 1917.
↑ Selon Marc Ferro, La Révolution de 1917, 1967, p. 863. Parmi eux, la Retch [La Parole], organe central du parti des cadets (qui continue à paraître sous d’autres titres jusqu'en juillet 1918) ; Dien [le Jour], quotidien de tendance libérale-bourgeoise financé par les banques ; Birjovka ou Birjévyié Viédomosti [La Gazette de la Bourse], journal bourgeois fondé en 1880 dans des buts commerciaux. Selon
Nicolas Werth, certains seraient des journaux socialistes, ce que contestent Marc Ferro et
Victor Serge. Dans La Révolution russe, op. cit.,
Richard Pipes qualifie Dien de journal menchevique et parle en outre de l'interdiction de Nache obsheie delo, « entièrement antibolchevique » et de Novoie Vremia, « de droite » (p. 479). Il ajoute que « la plupart des quotidiens interdits reparurent très vite sous des noms différents ».
↑ « Par le passé […] Lénine s’était fait alors le chantre de la liberté de la presse […] moins de trois mois plus tard, il oublie ce texte intitulé "Comment assurer le succès de l’Assemblée constituante ?". Une fois le pouvoir acquis, il est devenu hostile et à la presse libre, et à la Constituante ».
Hélène Carrère d'Encausse, Lénine, Fayard, 1998, p. 350. Lénine répond ainsi le 7 novembre aux SR de gauche qui protestent contre l’interdiction de journaux bourgeois : « N'avait-on pas interdit les journaux tsaristes après le renversement du tsarisme ? ».
↑ Iouri Larine propose ainsi au comité exécutif central une motion réclamant l’abolition des mesures contre la liberté de la presse, motion qui n’est rejetée qu’à deux voix près.
↑ Marc Ferro, La Révolution de 1917, 1967, p. 863.
↑ Le décret sur l'arrestation des chefs de la guerre civile contre la révolution (
Pravda, n° 23, 12 décembre (29 novembre) 1917) déclare que « Les membres des organismes dirigeants du parti cadet sont passibles d'être arrêtés et déférés devant les tribunaux révolutionnaires ».
↑ Arno Joseph Mayer, Les Furies : Violence, vengeance, terreur, aux temps de la Révolution française et de la révolution russe, p. 215-219 : « S'il n'y avait pas eu de "preuves" d'une résistance implacable juste après la prise du pouvoir, les bolcheviques auraient très probablement renoncé à la terreur (...) En novembre 1918 encore, alors que le clivage ami-ennemi était consommé, Lénine prétendait non sans raison que "nous procédons à des arrestations mais que nous ne recourrons pas à la terreur" notamment contre des frères ennemis. ». Voir aussi
Pierre Broué,
« Les débuts du régime soviétique et la paix de Brest-Litovsk » [
archive], dans
Le Parti bolchevique [
archive] ; ou
Edward Hallett Carr, La Révolution russe.
↑ Nicolas Werth, L'URSS de Lénine à Staline, Que sais-je ?, 1995, p. 8.
↑ (en)
Isaac Steinberg, In the Workshop of the Revolution, Rinehart, 1955, p. 145.
↑ Dans La Terreur sous Lénine, Le Livre de Poche, 1998.
↑ La Vérité, 26 janvier 1918.
↑ Le Journal du peuple, 24 janvier 1918.
↑ Martin Malia, La Tragédie soviétique. Histoire du socialisme en Russie, 1917-1991, Seuil, p. 158. De même selon
Moshe Lewin, « les forces qui avaient soutenu le gouvernement provisoire n'étaient pas davantage capable de produire une équipe dirigeante en janvier 1918 qu'elles ne l'avaient été en septembre 1917. », Le Siècle soviétique, Fayard, p. 359.
↑ Nicolas Werth, Histoire de l'URSS de Lénine à Staline, op. cit., 1998.
↑ Nicolas Werth, in Le Livre Noir du Communisme, Robert Laffont, p. 95.
↑ Nicolas Werth, « Un État contre son peuple », in Le Livre noir du communisme, op. cit., p. 106.
↑ Marc Ferro, Les tabous de l'Histoire, 2005.
↑ Orlando Figes, La révolution russe. La tragédie d'un peuple, Robert Laffont, 2007, p. 708
↑ George Mosse,De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Hachette, Pluriel.
↑ Voline, La Révolution inconnue. Russie 1917-1921, Belfond, 1986.
↑ v, The Cheka: Lenin's Political Police, Oxford Clarendon Press, 1981.
↑ Lettre de du 13 novembre 1937, recueillie dans Maria Spiridonova, terroriste et victime de la Terreur, V. L. Lavrov, 1996 (lettre reproduite dans Les cahiers du mouvement ouvrier, n°3, p.89-92). Maria Spiridonova consacre l'essentiel de sa lettre à dénoncer les sévices subit dans la prison d'Ourfa de 1936 à1937, en notant le « changement complet » que constituait sur ce point son internement vis-à-vis de sa précédente détention au début des années 1920.
↑ L'anarchiste
Voline témoigne dans La Révolution inconnue (Belfand, 1986, p. 593)
[1] [
archive] du procès d'un prêtre ukrainien reconnu délateur par la communauté villageoise.
↑ Jean-Jacques Marie,
De l'inventeur du “décret des otages” [
archive].
↑ Peter Holquist, op. cit., p. 191.
↑ Cité par
Peter Holquist, op. cit., p. 193.
↑ Orlando Figes, La Révolution russe. 1891-1924 : la tragédie d'un peuple, Éditions Denoël, 2007, p. 713-714.
↑ Larousse de la Grande Guerre,2007, dir. par Alain Cabanes, p. 326.
Vladimir Nabokov, ancien ministre de la Justice et père de l'écrivain, est un des maîtres-d'oeuvre de la tentative.
↑ Selon l'anarchiste
Voline, participant actif de la Makhnovchina, in La Révolution inconnue, op. cit., p. 580 : « Tous ceux que l'on savait être des ennemis actifs de la paysannerie et des ouvriers étaient voués à la mort. De gros propriétaires fonciers et des
koulaks périrent en grand nombre. » Il décrit ensuite (p. 593) la traque, le procès populaire et l'exécution d'un prêtre convaincu au témoignage des villageois d'avoir dénoncé plusieurs dizaines de personnes aux Blancs, qui les avaient fusillés.
↑ Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, La Découverte, coll. « Repères, » p. 8.
↑ Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, Julliard, 1980, introduction.
↑ Nicolas Werth, « Un État contre son peuple », op. cit., p. 95.
↑ Par exemple
Peter Kenez, The ideology of the White Movement, in Soviet Studies, 1980, p. 58-83 ; Civil War in South Russia, 1919-1920 : The Defeat of the Whites, 1977. Voir aussi
Moshe Lewin, « The Civil War », in Party, State and Society, p. 399-423.
↑ Le Siècle des communismes, Éditions de l'Atelier, « Points Seuil », 2004, p. 190-191.
↑ Cité par
Jean-Jacques Marie, La Guerre civile russe, 1917-1922, p. 88.
↑ Peter Kenez, Civil war in South Russia, 1919-1920, p. 173-174.
↑ Robert O. Paxton, Le fascisme en action, Seuil, 2004, p. 49.
↑ Miklós Molnar, Histoire de la Hongrie, Hatier, 1996, p. 339
↑ En fait le seul ordre de campagne publié par Ungern, qui accordait une valeur mystique aux nombres. Voir Léonid Youzéfovitch, Le baron Ungern, Khan des steppes, Éd. des Syrtes p. 223-227.
↑ Léonid Youzévofitch, ibid, p. 224.
↑ « Lorsqu'ils [les insurgés] capturent des soldats de l'Armée rouge, ils séparent les communistes des autres et laissent les premiers nus dehors, dans le froid, jusqu'à ce qu'ils meurent gelés […]. Quant aux hommes des détachements de réquisition capturés, les paysans leur découpent le ventre, leur arrachent les intestins, leur remplissent le ventre de paille ou de foin et plantent sur la victime un écriteau proclamant « réquisition terminée ! ». »,
Jean-Jacques Marie, La Guerre civile russe, p. 200.
↑ Nicolas Werth, « Un État contre son peuple », in
Le Livre Noir du Communisme, Robert Laffont, 1997.
↑ Selon
Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, op. cit., 3700 affiches sont ainsi créées pendant la guerre civile.
↑ Selon
Nicolas Werth, Histoire de l'URSS de Lénine à Staline, op. cit., la moitié du ravitaillement urbain en 1920 est assurée par le marché noir.
↑ La vérité sur Cronstadt [
archive]
↑ « À la fin de l'année 1920, le gouvernement bolchevique autorise l'avortement. La même année, la France renforce sa répression et criminalise l'avortement. »,
Alain Blum, Naitre, vivre et mourir en URSS, Payot, Paris, 2004, p. 173.
↑ Dan Healey, Homosexual Desire in Revolutionary Russia The Regulation of Sexual and Gender Dissent, Chicago, Londres : The University of Chicago Press, 2001, 392 p. Voir
la recension de l'ouvrage [
archive] dans les
Cahiers du monde russe.
↑ Voir Radu Clit, La Sexualité collective : de la révolution bolchevique à nos jours, Paris, Éditions du Cygne, 2007.
↑ Marc Ferro, « Octobre, tournant dans l'histoire de l'émancipation de la femme », dans La Révolution de 1917, p. 354-355.
↑ André Morizet, Chez Lénine et Trotsky, Édition La Renaissance du Livre,
1919. Voir aussi reproduction du témoignage dans Les Cahiers du
CERMTRI, n° 92.
↑ André Morizet, op. cit.
↑ Sous le tsarisme, deux écoles seulement formaient des instituteurs non russes. Leur nombre est passé à vingt-sept en
1920.
André Morizet, op. cit.
↑ Voir « La culture et l'art au lendemain de la révolution d'octobre 1917 », in Les Cahiers du mouvement ouvrier, n° 37, premier trimestre 2008.
↑ « L'art n'est pas un domaine où le Parti est appelé à commander. Il protège, stimule, ne dirige qu'indirectement. Il accorde sa confiance aux groupes qui aspirent sincèrement à se rapprocher de la Révolution et encourage ainsi leur production artistique. Il ne peut pas se placer sur les positions d'un cercle littéraire. Il ne le peut pas, et il ne le doit pas. », Léon Trostky,
La politique du parti en art [
archive], 1924.
↑ Jean-Michel Palmier, « Histoire de l'art et marxisme », in Esthétique et marxisme, UGE-10/18,
1974.
↑ Jean-Michel Palmier in Sur l'art et la littérature, recueil de textes de Lénine, volume 3, UGE-10/18, 1976, p. 245.
↑ Jean-Michel Palmier in Sur l'art et la littérature, recueil de textes de Lénine, volume 1, UGE-10/18, p. 81.
↑ Anatole Kopp, « Avant-garde », in Art Russe, Encyclopaedia Universalis éditeur, 1977, p. 530.
↑ Le poète Kirinov, membre du
Proletkoult, proclame : « Au nom de notre avenir, nous brûlerons Raphaël, nous détruirons les musées et nous piétinerons les fleurs de l'art. »
↑ Léon Trostky polémique notamment contre les membres du Proletkoult, voir
La politique du parti en art [
archive], 1924.
↑
a et
b Nicolas Werth, coll. « Que sais-je ? », op. cit., p. 22.
↑ A.G. Volkov, cité par
Jean-Jacques Marie dans La guerre civile russe, 1917-1922, p. 6.
↑ Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, op. cit., p. 19, mentionne que 40 % de la population des deux capitales est employée dans les bureaux en 1920.
↑ Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, op. cit., p. 19, montre que le nouvel «
État ouvrier » se construit paradoxalement avec des bureaucrates d'origine intellectuelle, employée ou petite-bourgeoise. La petite-bourgeoisie représente ainsi 57 % des exécutifs des soviets de province.
↑ Marc Ferro, Des Soviets au communisme bureaucratique, Julliard, 1980.
↑ Voir notamment Nicolas Werth, « Un État contre son peuple », dans
Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 1997.
↑ Arno J. Mayer, Les Furies : Violence, vengeance, terreur aux temps de la Révolution française et de la révolution russe, Fayard, 2002. Ainsi selon l'auteur : « La Terreur est interactive, et l'on peut affirmer sans risque que dans le sillage des révoltes de 1789 et de 1917, il n'y aurait pas eu de terreur si la résistance intérieure et extérieure ne s'était montrée aussi opiniâtre et aussi intransigeante », p. 86.
↑ Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique. Les mécanismes d'une subversion, op. cit., passim.
↑ « Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel [...], alors seulement l'horizon borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ! » »,
Karl Marx,
Critique du programme de Gotha [
archive], 1875.
↑ Marc Ferro, L'Occident devant la révolution russe, 1969.
↑ Jacques Bainville, « Journées révolutionnaires à Pétrograd », dans L'Action française, 17 mars 1917.
↑ Cité par Chronique du XXe siècle, Ed. Chroniques, « Le tsar abdique face à la révolution de Février », p. 221.
↑ Pierre Broué, Histoire de la IIIe Internationale, Fayard, 1999.
↑ L'importance de la mémoire de la Révolution française dans l'accueil et l'interprétation de 1917 a été soulignée par le livre de
François Furet, Le Passé d'une Illusion, Robert Laffont, 1995.
↑ Nicolas Werth,
« Que reste-il de la révolution d’Octobre ? » [
archive], tribune libre dans L’Humanité, 7 novembre 2007.
↑ USSR: Communist Party: 1917-1952 (Politburo) - Archontology.org [
archive]
↑ Boris Souvarine, Staline. Aperçu historique du bolchevisme, Plon, 1935, toujours réédité et utilisé, reprend explicitement en bonne part les thèses du jeune Trotsky, de Karl Kautsky et de Rosa Luxembourg pour décrire les continuités entre le bolchevisme d’avant 1917, celui de la révolution et de la guerre civile, et l’ère stalinienne.
Annexe[
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Articles connexes[
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Histoire de RussieUnion des républiques socialistes soviétiquesRévolution russe de 1905Fin du régime tsariste en RussieMutinerie des soldats russes à La CourtineRévolution de FévrierRévolution d'OctobreGuerre civile russeGuerre russo-polonaise de 1920Intervention alliée en Russie septentrionaleLes différents partis[
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BolchevikMenchevikParti socialiste-révolutionnaireParti socialiste-révolutionnaire de gaucheParti CadetBibliographie[
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: Ouvrage ou article utilisé comme source pour la rédaction de cet article
Oskar Anweiler, Les Soviets en Russie, Gallimard, 1997.
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Hélène Carrère d'Encausse, Lénine, Fayard, 1998.
Isaac Deutscher, La Révolution inachevée : cinquante années de révolution en Union soviétique, 1917-1967, Robert Laffont, 1967.
Marc Ferro, La Révolution de 1917, 2 vol., Aubier, Paris, 1967, rééd. Albin Michel, 1997, 1092 p.
Orlando Figes, La Révolution russe. 1891-1924 : la tragédie d’un peuple, Éditions Denoël, 2007 (édition originale : A People's Tragedy: Russian Revolution 1891-1924, 1996).
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Martin Malia, Comprendre la Révolution russe, Seuil, 1980.
(en)
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Arno Joseph Mayer, Les Furies – Violence, vengeance, terreur aux temps de la Révolution française et de la révolution russe, Fayard, 2002, 650 p.
Richard Pipes, La Révolution russe, PUF, coll. « Connaissance de l'Est », Paris, 1993, 866 p.
John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde, 1919, rééd. Éditions sociales, Paris, 1958, 376 p.
Rudolf Rocker, Les Soviets trahis par les bolcheviks, 1921.
Leonard Bertram Schapiro, Les Bolcheviks et l'opposition. Origines de l'absolutisme communiste (1917-1922), Les Iles d'Or, Paris, 1957, 297 p., rééd. Les nuits rouges, 2007, 560 p.
Victor Serge, L'An I de la révolution russe. Les débuts de la dictature du prolétariat (1917-1918), 1930, rééd. La Découverte, Paris, 1997, 521 p.
Léon Trotsky,
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Voline, La Révolution Inconnue, Livre premier : Naissance, croissance et triomphe de la Révolution russe (1825-1917), Éditions Entremonde,
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2009. (
ISBN 978-2-940426-02-7)
Nicolas Werth, 1917 : la Russie en révolution, Gallimard, coll. « Découvertes », 1997.